Feuilleton

La vie secrète de JPM (1)

Épisode 1 : « Günther »

Publié le 27 mars 2020 à 03:32 Mise à jour le 2 mai 2020

Suite à l’arrêt de l’actualité culturelle que nous espérons le plus momentané possible, JPM vous propose de suivre durant six semaines un feuilleton inédit qui vous plongera dans son quotidien en ces temps de confinement :« La vie secrète de JPM ».

J’avais pourtant insisté. « Débarrasse-toi de Günther. Le plus vite sera le mieux. » Mais tata Rosa, elle, n’était pas de cet avis. Pas facile d’effacer 15 ans de vie commune. Faut dire que son Günther, c’était quelque chose ! Et je répétais en boucle, sur tous les tons : « Mais tata, il est presque aveugle, il a le cul rouillé et il bave sur ton tapis. » Mais rien à faire, elle ne voulait pas. Elle avait bien fait, tata Rosa. Günther était désormais mon laissez-passer en ces temps de confinement. Sortir le toutou à tata, c’était le sésame pour quelques minutes d’air pur et d’un peu de vie sociale. Même bourru et pas toujours aimable, je suis comme tout le monde, un être sociable. J’ai très rapidement changé mes habitudes. Au lieu de m’installer au comptoir de La Chope, désormais fermé, je commençais le journée par 45 minutes de vélo d’appartement. Si on m’avait dit qu’un jour que je ferais du sport. À 14 h, je me pointais chez tata Rosa pour récupérer Günther.

C’était un très vieux bouledogue presque aveugle, victime de myélopathie dégénérative. Les pattes arrière paralysées, ma tante m’avait demandé d’équiper le clébard de petites roues pour que l’avant-train serve au moins à quelque chose. Günther avait fière allure avec sa prothèse à deux roues que j’avais récupérées sur un vieux landau. Quand je le promenais, ça ma rappelait mes premiers jouets d’enfants, les trucs à roulettes que l’on tire et qui bougent la tête. Günther et moi, on a rapidement fait pitié aux rares promeneurs du quartiers que l’on croisait. On provoquait de l’empathie, surtout Günther. Et moi, on me trouvait bien courageux de prendre soin d’un débris pareil. Je répondais « chacun sa croix » en faisant les mêmes yeux triste que le chien. J’avais gardé les trajets d’avant le confinement. Les décrire serait sans intérêt.

Il faut juste savoir qu’ils passaient fatalement devant La Chope. Voir le troquet fermé en ces jours sombres, je vous jure, ça me faisait un sacré nœud dans le ventre. C’est comme s’il n’y avait plus de vie, plus de bruit, plus rien. Je m’arrêtais devant et je me surprenais parfois à dire à Günther : « C’est là que je voyais les copains... C’était avant. » Il me regardait comme s’il avait compris. Il n’était pas con ce chien. On sentait qu’il avait du vécu. Je le ramenais tristement à tata et finissais la journée du mieux que je pouvais, écrivant pour Liberté Hebdo des chroniques culturelles que personne ne lirait, sur des spectacles qui n’existaient plus. L’inutilité totale.

Cela faisait bien une semaine que Günther et moi partagions nos balades. Un après-midi ensoleillé, passant devant le rideau de fer de La Chope, le clebs s’arrête et renifle bizarrement. J’entends alors un bruit qui m’était quotidien, celui de verres qui s’entrechoquent. Je crois tout d’abord à un mirage sonore. Faut dire que la binouze de 16 h avec les copains me manquait sacrément. Je tends l’oreille, et je les entends de nouveau. Discrètement, je tape au rideau de fer en disant : « Il y a quelqu’un ? C’est JP ! » J’entends la voix de Samir qui répond :« Y’a du monde dans la rue ? » « Pas un chat »que je lui dis. « Bouge pas JP, je t’ouvre. » Günther a levé la tête pour me regarder. Je crois qu’il m’a souri. Le rideau de fer s’est alors ouvert. Ce que je voyais, ce n’était pas un mirage.

À suivre...

JPM

Retrouvez tout de suite l’épisode 2 : « La Chope. »

Et si vous préférez qu’on vous raconte des histoires, vous pouvez également écouter cet épisode adapté par la radio PFM en partenariat avec l’association Colères du présent.