Feuilleton

La vie secrète de JPM (2)

Épisode 2 : « La Chope »

Publié le 3 avril 2020 à 19:48 Mise à jour le 6 avril 2020

Suite à l’arrêt de l’actualité culturelle que nous espérons le plus momentané possible, JPM vous propose de suivre durant six semaines un feuilleton inédit qui vous plongera dans son quotidien en ces temps de confinement : « La vie secrète de JPM ». Dans l’épisode précédent, JPM découvrait un bar clandestin en allant promener Günther, le vieux bouledogue handicapé de tata Rosa.

« Nom de dieu de bordel de merde ! » Ça m’est sorti comme ça. Un cri du cœur ! Le rideau de fer se refermait derrière moi, et tous les copains étaient là, sous mes yeux, à leurs places habituelles.« Oh, JP ! Il ne manquait plus que toi ! » m’a dit Polo, en levant son verre de blanc, accoudé au comptoir, la casquette vissée au front.

« Salut JP ! » dirent-ils tous en cœur. Chacun reprit ses occupations. Jeannot, Betty, Marika et Yvon leur belote, Clémence écrivait sa thèse sur Louise Michel et la franc-maçonnerie, Tonio sa lecture de La Condition humaine, Emma passait de table en table pour proposer du chocolat, Bébert et Caryl discutaient du romantisme allemand, Sergio réfléchissait à comment aborder Camille, qui finissait son article, tandis que François vantait les bienfaits de la chimie contre la dépression. La vie normale, quoi ! La vie d’avant !

Günther était aux anges. Il n’avait jamais vu autant de monde de sa vie. « C’est à toi JP le clébard ? » Il passait de table en table cherchant la caresse. « Non, à tata Rosa. » Il avait même réussi à se faire offrir un vieux falafel par François. « Il est para- lysé ? » « Non, il s’entraîne pour le trot attelé du Prix de l’Arc de Triomphe, Ducon ! Donne lui pas à manger, il a la digestion difficile. » Günther essayait de faire le beau, comme dans sa jeunesse. C’était désormais compliqué avec les roulettes. « La vieillesse est un naufrage, Günther. On ne peut plus faire plus le beau à un certain âge » lui dit Emma en le caressant.

« Ils se sont confinés ici » me confie Samir à l’oreille en me servant une mousse. « Deux jours après la fermeture, ils étaient tous dingues. Ils insistaient pour que j’ouvre malgré l’interdiction. Ils se relayaient pour me téléphoner. C’était l’enfer. Tonio m’a fait du chantage au suicide en me jurant qu’il lécherait les barres du métro. Qu’est-ce que tu voulais que je fasse ? Les laisser moisir seuls chez eux ? J’ai eu beau leur dire qu’il allaient peut être se refiler le virus, ils préféraient crever entre eux ici, que seuls ailleurs. Alors, ça fait deux jours que j’ouvre en loucedé à 9 h du mat’ pour le café croissant et je ferme à 19 h. Je les ai fait promettre de ne voir personne d’autre que nous. Le midi, on fait auberge espagnole. Ça sent bizarre tu trouves pas ? » C’est vrai que ça sentait pas bon. Günther, revenu à mes pieds, venait de lâcher un vent phénoménalement puant. « Oh, non, JP ! Surveille ton chien ! » me dit Max en balançant un 10 de der. Ça gueulait à La Chope. N’empêche, j’étais sacrement bien dans cet endroit. J’en avais rencontré du monde. J’y passais des heures depuis que mes finances m’empêchaient de voyager.

J’avais découvert des livres, des gens. Je m’étais confié, j’avais ri, j’avais même pleuré une fois, à cause d’une fille. Et tout ça autour d’une table, d’un café, d’un blanc ou de rien. En buvant ma bière, je les regardais, ils étaient tous là, et c’était bien. Je commençais avec Caryl un débat sur Manu Dibango lorsque Günther péta de nouveau. « JP, fous-le dehors ! » dirent-ils tous dans un même élan d’indignation et de dégoût. Sauf Camille qui cracha son crème en pouffant de rire, Sergio qui alla de suite lui en commander un autre, et François qui manifestement cherchait la tendresse de Günther. « Z’êtes salauds les mecs ! » dit-il. Mais c’était intenable. J’ai sorti Günther, l’ai attaché à un poteau. « Sois sage. Je bois un canon et je te ramène chez tata. » Je crois qu’il m’a souri. Je n’aurais jamais dû faire ça.

À suivre...

JPM

Si vous avez raté le début, vous pouvez toujours relire l’épisode 1 : « Günther. »