Les dessins de Sempé et de Mix & Remix

Deux sommes éclairantes

par ALPHONSE CUGIER
Publié le 10 novembre 2021 à 19:44

De ces deux-là, on croyait tout connaître de leur prodigieuse fertilité, dessins d’évocation chez l’un, dessins d’actualité chez l’autre.

> Carnets de bord, noces de l’observation et de l’imagination De Sempé, c’est le Petit Nicolas qui se rappelle à notre bon souvenir avec la sortie du film Le Trésor du Petit Nicolas, adaptation par Julien Rappeneau de la nouvelle de Goscinny. Dessins d’évocation du quotidien, de traits d’esprit et de poésie, il a élevé le dessin d’humour au grand art : des galeries à travers le monde exposent ses œuvres et des ouvrages opulents ravissent le visiteur-lecteur qui se demande comment s’effectue le cheminement de l’idée au coup de crayon ou à la plume. Ces secrets de fabrication sont enfin dévoilés, Sempé consignait ce qui attirait son regard, ce qui lui passait par la tête dans des carnets restés cachés. Croquis, esquisses, planches préparatoires : une attitude, une pose recherchée, un geste ébauché, une amorce de décor. Paysages urbains, de campagne ou de mer : l’être humain se trouve souvent perdu dans ces immensités. Nous plongeons au cœur même de ses investigations. On retrouve le musicien-batteur (illustration qui accompagne notre texte) dans trois décors différents : un grenier au milieu de malles en osier (trois essais), un salon avec fauteuils et lustre (deux essais) et un bal en plein air (trois essais). Observateur ironique, jamais cruel, parfois mélancolique de la condition humaine, il croque des personnages qu’on pense avoir rencontrés ou croisés, d’un trait rêveur et délicat : au fil du temps, ce trait qui était quelque peu sec, râpeux, gagne en précision pour atteindre une merveilleuse fluidité que relève Patrick Modiano dans la préface.

Les Cahiers dessinés, 238 pages, 35 €.

> Le Monde selon Mix & Remix Mix & Remix est le pseudonyme de Philippe Becquelin, dessinateur suisse (1958-2016) à l’univers singulier. Ses personnages sont reconnaissables entre tous : un pif énorme qui éclipse le corps, bras en jambes fil de fer. C’est Carême, sobriété extrême sur le plan du dessin mais Mardi Gras, bombance quant à l’esprit de dérision, à l’absurde, à l’humour décapant, vitriolé à l’occasion. Une lucidité à toute épreuve, un fulgurant éclat de liberté, il attaque au vif, « ferraille de tous bords », frappe juste, concis et tranchant, en particulier lors de l’émission télévisée Infrarouge quand il croque en direct les débats. Il nous soulage de la violence de l’actualité qu’il décortique : satire graphique qui met à bas les certitudes, les suffisances et les hypocrisies, véritable sismographe démocratique. Même si le dessin de presse est ancien, il ne rate pas sa cible, les têtes d’affiches de la politique hexagonale ou internationale reprennent d’emblée des « couleurs » : Erdogan, « tête de turc », Hollande « On a déjà fait tout ce qu’il ne fallait pas faire », une Arabie saoudite en guerre contre l’État islamique hurle « Tiens ! Prends ça ! » tout en se tirant des balles dans le pied et découvrez un Pape réjoui puis le doigt réprobateur. L’ouvrage reprend ses « premiers dessins inédits ou méconnus, publiés dans des revues confidentielles ou marginales du temps où il multipliait les petits boulots ». Suivent les affiches pour les spectacles (théâtre, musique…), les « Unes » des journaux auxquels il a participé : L’Éternité qui ne vécut qu’un semestre, L’Hebdo de 1990 à 2013, Le Matin Dimanche de Lausanne, Siné Hebdo. Un entretien de Frédéric Pajak avec Dominique Becquelin permet de suivre tout le parcours de son époux.

Les Cahiers Dessinés, 240 pages, 32 €.