Atelier Brouard

L’atelier Brouard : Une famille éprise de lumière

par Carole ANDREANI
Publié le 13 mars 2023 à 10:07

C’est à Ronchin, dans la métropole lilloise, que se trouve un des derniers grands ateliers de restauration et de création de vitrail de notre pays, qui possède la plus grande surface de verrières colorées du monde. Autant dire qu’on n’y chôme pas !

Rue Roger-Salengro à Ronchin, l’atelier familial Brouard est une pépinière qui compte beaucoup de jeunes. Plus d’une vingtaine d’artisans et d’apprentis, au masculin et au féminin à part égale, s’y activent autour des tables à dessiner, du choix des verres qui se dressent un peu plus loin en grandes « feuilles » le long des murs, avant de les couper, de les peindre (ce qu’on appelle la « grisaille »), certains font le sertissage (la « mise en plomb ») et d’autres vont et viennent avec les camionnettes, déposant les vitraux anciens des édifices avant d’en poser de nouveaux. Sous la direction de Luc-Benoît et d’Alice, sa fille qui, formée à l’école de vitrail d’Arras, l’a rejoint en 2011 comme salariée avant d’en assurer depuis deux ans la cogérance, ils restaurent le patrimoine et réalisent aussi des créations. Les restaurations sont doublement importantes, faisant vivre l’atelier à 70 % et permettant l’apprentissage technique du métier. L’atelier fonctionne comme ceux d’autrefois avec les maîtres, les compagnons et les apprentis. Sauf qu’ici, la hiérarchie y est pas mal chamboulée. Tous les apprentis sont dits « compagnons » et apprennent tous les corps de métier selon un apprentissage polyvalent, avant qu’ils puissent choisir. L’encadrement par un tel atelier où le style de chacun est respecté est idéal.

Les joyaux revivent

Aujourd’hui le vitrail ne fait plus vieillot. C’est un art dont les belles créations artistiques de ces dernières décennies a permis de comprendre qu’il s’agit de lumière, de couleur, d’espace, qui donnent aux édifices leur atmosphère si particulière. Couleurs et matières jouent dans les créations contemporaines un rôle très physique, plastique, au même titre que le marbre ou la pierre. Aussi les Brouard père et fille préfèrent-ils les chantiers où tout est à créer ou à recréer. Les guerres ont beaucoup détruit dans une région qui compte 361 églises gothiques ! « Abstraction non-figurative, grands à-plats de couleurs avec mouvements introduisant des nuances pour travailler la matière, c’est vraiment ce que nous privilégions », souligne Alice. Une de ses premières réalisations fut la réinsertion de 300 mètres carrés de vitraux (déposés pendant la guerre) dans la rotonde de la collégiale Saint-Pierre de Douai, accompagnée d’une bordure florale stylisée en verre dépoli et filet bleuté. L’atelier a refait la coupole en concave et convexe de 12 sur 7 mètres de diamètre de la salle Sthrau, joyau architectural Art déco de Maubeuge. Ce sont chaque fois des entreprises colossales comme la Grande Chartreuse de Montreuil-sur-Mer, avec plus de 300 mètres carrés de vitraux. Pour un des deux édifices d’Ablain-Saint-Nazaire, ils ont imaginé des notes de musique sur fond blanc opaliné. Chaque édifice suscite l’invention. L’atelier a recréé les verrières Art déco d’un restaurant hitorique du Vieux-Lille, L’Huîtrière, aujourd’hui classé, racheté par Louis Vuitton. Au menu : poissons, glycine et coquilles d’huîtres encadreront désormais les bagages à la griffe marron. Ils répondent aussi à la demande de verrières d’escaliers ou d’appartements comme récemment chez un particulier lillois.

La plaie du moins-disant

L’expérience la plus mémorable aura été la création in situ en 2013 de toutes les verrières de l’église Saint-Martin de Saint-Amand-les-Eaux. Tout l’atelier avait déménagé dans l’édifice et les écoles prendront part au chantier réalise la frise. Opération réitérée récemment dans un petit édifice à Hautmont (Valenciennois) où ils ont refait les dalles de verre à scène. Les normes européennes en matière d’équipement et de sécurité sont telles que nombre de ces grands ateliers de vitrail travaillant pour le patrimoine, concurrencés par le moins-disant, et tués par la paperasse, ont jeté l’éponge. La venue en 2023 d’Émeline, la fille ainée de Luc-Benoît, pour gérer l’atelier, les grands marchés publics, l’aide juridique, les ressources humaines, permet à cet atelier patrimonial de continuer avec de belles réalisations, en France et à l’étranger.

Toute une histoire... Créé en 1956 au 202, rue Roger-Salengro à Ronchin (59) par Pierre Brouard, peintre et sculpteur. • Repris en 1997 par son fils Luc-Benoît, artiste libre, rejoint à la direction par ses deux filles Alice et Émeline en 2021 et 2023. • À l’actif de l’atelier, la restauration de l’immense vitrail en demi-soleil de La Piscine-musée André Diligent de Roubaix, l’hospice d’Havré à Tourcoing, le musée Matisse au Cateau-Cambrésis, le palais des Doges à Venise, le Musée d’art moderne de Chicago, le Palais royal de Rabat...

Et depuis dix ans, principalement : Créations : • Ablain-Saint-Nazaire, Blanche voix (2003-2006) • Église Saint-Dominique, Bonifacio (2014-2015) • Commanderie de Moisy, Chapelle des Templiers (2016-2017) • Collégiale Saint-Pierre à Aire-sur-la-Lys (2018-2021) • Rotonde de la Collégiale Saint-Pierre de Douai (2018-2019) • Salle Sthrau, Maubeuge (2018-2020) • Église Sainte-Pharaïlde, Bruay-sur-l’Escaut (2023)

Restaurations : • Église Saint-Joseph, Roubaix (2007-2020) • Église Notre-Dame-de-la-Délivrance, La Réunion (2010-2011) • Collégiale Saint-Piat, Seclin (2007- 2022) • Église Saint-Vincent, Carcassonne (2016-2019) • Église Saint-Geniès, Cesseras (2021) • Église Saint- Louis, Vincennes (2014-2022) • Église Saint-Éloi à Hautmont, Dalle de Verre (2020-2022)

Restaurations et créations : • Chœur et transept de l’abbatiale Saint-Martin et bâtiments conventuels (2014-2019) • La Chartreuse de Neuville-sur-Montreuil en cours depuis 2008.

Mots clés :

Nord