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Pablo Ruiz Picasso... inédit

Publié le 7 avril 2023 à 16:23

C’était un dimanche, le 8 avril 1973. Picasso avait 91 ans quand il s’est éteint dans sa maison à Mougins dans le sud de la France.

L’auteur du célèbre tableau « Guernica » dénonçant les atrocités commises par le fascisme lors de la guerre d’Espagne reste un des peintres majeurs du XXe siècle. Militant du mouvement de la paix, artiste politiquement engagé, il devient membre du Parti communiste français. Dans un article publié dans l’Humanité en octobre 1944, intitulé « Pourquoi j’ai adhéré au Parti communiste », il y explique qu’il ne lui suffit plus de lutter avec ses peintures « révolutionnaires » mais de « tout [lui]-même, en adhérant à l’idéal communiste de progrès et de bonheur de l’homme ». Nous reviendrons sur la vie et l’œuvre de ce monument de l’art et de l’histoire contemporaine. Henri Diacono, ancien reporter à l’Agence France-Presse et ami de Picasso, l’a vu vivre dans son mas « Notre-Dame-de-Vie » dans les Alpes-Maritimes, tout au long de l’hiver de ses 90 ans. Voici son témoignage diffusé le 9 avril 1973, le lendemain de la mort du peintre.

Dans sa retraite volontaire, entouré des siens, de quelques amis, de ses pinceaux et de ses crayons, il s’était préservé du rythme agressif de cette fin de siècle. (...) « Le vieil Espagnol » se levait tard, dormait peu la nuit, travaillait beaucoup - peu de temps avant sa mort il peignait encore - quittait rarement sa demeure et appréciait « qu’on vienne le voir ». Chaque visite (...) le comblait d’aise mais il ne les acceptait que si lui-même « était prêt à recevoir ». « À quoi bon accueillir ceux que j’aime si j’ai trop de travail ou si je suis de mauvais poil, disait-il. Je préfère ne pas les rencontrer dans ce cas et leur ouvrir plutôt ma porte si je suis gai, en bonne santé et disponible. » (...)

« Mange pour moi »

Au cours d’une nuit de 1971, (...) il s’était couché encore plus tard que de coutume. (...) Tout guilleret, il nous avait raccompagnés jusqu’à la porte vers quatre heures du matin, apparemment moins fatigué que nous tous et après avoir agrémenté la veillée de quelques-unes des facéties dont il avait le secret. Il nous avait reproché « notre manque d’appétit », tenu à nous servir personnellement avec à chaque fois cette réflexion boudeuse : « Tiens, prends encore du champagne, bois pour moi, moi je n’ai pas le droit... Mange du chocolat... Mange pour moi... Je ne dois pas en goûter... Les fruits confits, c’est bon, tu sais… » Puis, dans un geste rageur et riant, il avait soulevé sa chemise et nous avait montré une cicatrice : « Tout ce régime à cause de ça », (...) une opération chirurgicale (...) qui lui imposait un régime alimentaire très strict. Au cours de nos rencontres, il ne parlait jamais de l’art, de son travail. Mais, curieux de tout, il s’informait par mille questions aux réponses desquelles il mêlait volontiers ses souvenirs.

Télévision en famille

Homme d’accueil, voulant à tout prix vivre en paix, il supportait mal (...) la discorde autour de lui. (...) Il n’acceptait des autres que le spectacle de la quiétude et lorsque lui-même était de mauvaise humeur, il s’enfermait à double tour et refusait tout contact avec le monde qu’il appelait « celui des autres, pas le mien ». Le soir, lorsqu’il était seul à la maison et avant d’aller travailler, il sacrifiait quelquefois « au plaisir de la télévision en famille ». « Les seules choses qui m’intéressent, ce sont les matches de boxe ou de catch... Le reste ne me donne pas de plaisir… » Picasso aimait à égrener des souvenirs dont il ne gardait - « volontairement » - que l’aspect amusant. (...) Comme celui de la dernière sortie mondaine du couple Picasso à Cannes, une dizaine d’années auparavant. Ce soir-là au casino, le peintre avait revêtu son très vieux smoking, le seul qu’il ait jamais possédé. « Il était tout mité sous les manches. Alors je gardais les bras raides, le long du corps, et Jacqueline avait mis une robe du soir à laquelle il manquait des boutons. C’est moi qui l’avait raccommodée avec une épingle à nourrice. » « J’étais très content, m’avait-il dit. Une femme était même venue m’inviter à danser. J’avais refusé. » À l’époque, Picasso avait 80 ans (...). De ces visites, de ces longues conversations à bâtons rompus, le « sujet de la mort » était toujours absent. Lorsqu’il lui arrivait de citer un ami défunt, il refusait l’emploi de l’imparfait, s’obstinant à parler de lui au présent (...). La dernière image du peintre sera pour moi celle d’un homme souriant sur lequel l’âge ne pouvait avoir de prise. Il serrait la main de sa femme, pantalon de velours, chemise à carreaux, gilet de laine - sa tenue favorite - Il ne nous avait pas raccompagnés à la porte, il faisait « trop froid dehors ». C’était dans les derniers jours de l’année dernière (1972, ndlr). Pablo Picasso avait bien entamé sa 91e année.

Toute une histoire Pablo Ruiz Picasso est né le 25 octobre 1881 à Malaga en Espagne. Il s’installe à paris en 1901. Avec Georges Braque, il participe à la fondation du cubisme. Artiste hétéroclite, il produira quelque 1 885 tableaux, 1 228 sculptures et plus de 2 000 céramiques essentiellement au sein de l’atelier Madoura à Vallauris. En 1985, un musée portant son nom est créé au sein de l’hôtel Salé à Paris dans le 3e arrondissement.