© Simon Gosselin
L’oratorio « Sémélé » de Händel à l’opéra de Lille jusqu’au 16 octobre

Sublime coup de foudre

par PAUL K’ROS
Publié le 14 octobre 2022 à 12:51 Mise à jour le 6 février 2023

Flamboyante ouverture de saison à l’opéra de Lille avec le « Sémélé » de Georg F. Händel, mis en scène par Barrie Kosky (et David Merz pour la reprise à Lille) sous la direction musicale d’Emmanuelle Haïm. Flamboyante, l’adjectif s’applique à la splendide qualité du spectacle qui fut offert au public car scénographiquement parlant ce qui se présente aux yeux du spectateur dès le lever de rideau est d’allure générale sombre et calcinée (décor Natacha le Guen de Kernaison). «  Calciné  », le mot n’est pas trop fort pour qualifier le très vaste salon d’ancienne et riche architecture avec portes à double vantaux, imposantes cheminées ouvertes surmontées de miroirs géants et parquet sinueusement marqueté. Le tout, visiblement noirci outragé par les flammes, servant de cadre évolutif aux trois actes de l’action dramatique. Je n’aurai garde d’oublier dans cette description le tas de cendres encore fumantes disposé à l’avant-scène duquel surgira miraculeusement Sémélé l’héroïne du drame comme renaissant de ses souvenirs.

Une histoire d’amour fou

Au cours de la représentation m’est revenue en mémoire une phrase du poète surréaliste André Breton « la beauté sera convulsive ou ne sera pas » paraphrasant le propos de l’auteur de l’amour fou l’on pourrait dire ici «  l’amour sera incandescent ou ne sera pas » car c’est bien d’une histoire d’amour fou entre un dieu « Jupiter », et une mortelle « Sémélé » dont il est question. Les dieux se révélant pour l’occasion semblables aux humains, surtout en matière de désir amoureux, les humains rêvant naïvement de devenir des dieux afin d’immortaliser les fulgurances de leur amour, quitte à s’y brûler les ailes.

Je ne veux rien moins que tout pleinement

La soprano Elsa Benoit (une belle révélation), toute de vivacité, ardente, passionnée, lascive, inquiète ou désespérée, épouse avec brio les états d’âme successifs de la mortelle Sémélé, éperdument éprise de son dieu descendu sur terre. L’excès de ses sentiments sera exprimé par ce cri du cœur « Non, Non ! je ne veux rien moins que tout pleinement  ». Le ténor Stuart Jackson, imposant de corpulence, campe un étonnant Jupiter dont la présence scénique fait penser à l’Albatros, prince des nuées, du célèbre poème de Charles Baudelaire ; affublé de surcroit d’un costume queue de pie et de chaussettes couleur fuchsia flamboyant, il surprend et émeut par la bienveillante et inattendue douceur de ses élans amoureux tout en sachant se montrer paillard en diable… Les chants de l’une et de l’autre font merveille et il convient de rappeler que rien de tout cela ne serait sans la somptueuse musique écrite il y a 278 ans à Londres par un compositeur Allemand passé maître dans l’art de sublimer les émotions par le truchement de la musique et de la voix humaine.

Emmanuelle Haïm à la pointe de son art

C’est aussi l’occasion de redire la chance qui est la nôtre d’avoir « à domicile » (si l’on peut dire les choses ainsi) un ensemble chœur et orchestre de la qualité du « concert d’Astrée » formé et dirigé par une Emmanuelle Haïm au sommet de son art. Les autres personnages de l’affaire ne sont pas en reste bien qu’ils puissent légitimement se sentir délaissés : Athamas (Paul- Antoine Bejos-Djian contre-ténor) voit sa promise Sémélé lui être ravie le jour même de leurs noces mais, virevoltant désespéré, il finira par se consoler avec la sœur de celle-ci , Ino (Victoire Brunel , mezzo-soprano) qui en pince pour lui depuis le début. Junon, épouse en titre de Jupiter, est en droit de témoigner une légitime fureur, ce que ne manque pas de faire valoir avec éclat la mezzo-soprano Ezki Kutlu, subtilement aiguillonnée en cela par la messagère Iris (Emy Gazeilles, mezzo) fine guêpe piquerette. Sollicité par Junon pour l’aider à satisfaire sa vengeance le dieu du sommeil Somnus (Evan Hughes, baryton-basse) ne daignera sortir de sa léthargie que stimulé par la promesse d’une aventure sexuellement affriolante. Enfin le roi Cadmus (Joshua Bloom), père de Sémélé et d’Ino, portant beau avec préciosité et doté d’une profonde voix de basse, s’active au four et au moulin avec empressement pour marier ses deux filles Les surréalistes auxquels nous faisions allusion plus haut auraient certainement apprécié cette production de feu et de cendres dans laquelle le peuple (impeccable chœur du concert d’Astrée) arrive en coup de vent, disparait à la vitesse de l’éclair pour réapparaitre dévalant sur le parquet, en roulé-boulé, craché par l’âtre gargantuesque de la cheminée d’apparat. Ajoutez à tout cela un brin d’ironie mordante, iconoclaste, et vous comprendrez l’enthousiasme manifesté par le public à l’issue de la représentation.

  • C’est à l’opéra de Lille jusqu’au 16 octobre inclus ; réservations 03 62 21 21 21 prix des places de 5 à 72 €