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Adriana Guéant

Une guerrière de l’art du spectacle vivant

par Gérard Rouy
Publié le 4 novembre 2022 à 12:12 Mise à jour le 2 novembre 2022

Née à Rio, elle est admise à 18 ans dans l’école de cirque nationale brésilienne avant de venir en France faire une recherche sur l’évolution des arts du cirque. Aujourd’hui, à 49 ans, elle est professeur des disciplines aériennes et responsable technique de l’école du cirque d’Amiens.

  • Qu’est-ce qui t’a attirée dans le cirque ?

J’ai commencé à faire du théâtre de rue à 15 ans, ça nécessitait une préparation physique énorme, je faisais déjà de la danse, ainsi que du yoga… Quand j’ai commencé les cours de théâtre, on travaillait l’énergie, les exercices de la voix et de la respiration tout en étant dans l’effort physique. Des fois on ne parlait pas, le corps devait exprimer les émotions à travers les muscles. Puis j’ai fait un parcours d’immersion autour du théâtre de Jerzy Grotowski, un théoricien et pédagogue polonais. Grotowski est l’incarnation du théâtre contemporain. L’influence de son théâtre pour moi a été un changement dans ma vision du cirque. Puis, un an après, à contrecœur, mes collègues et amis du théâtre m’ont convaincue de participer à un examen pour une école de cirque. Résultat, ils n’ont pas été acceptés, mais moi j’ai eu la validation de l’école de cirque national de Rio. C’était en 1991, j’avais 18 ans, et je me retrouvais au début d’une aventure dans le monde du cirque que je ne connaissais pas du tout.

  • Puis, tu t’es spécialisée dans les disciplines aériennes ?

Je savais que mon corps m’appelait pour continuer à faire de l’endurance ou de l’effort, mais je ne savais pas exactement dans quelle discipline. J’ai commencé à faire de l’acrobatie, du trampoline, de l’équilibre en monocycle, un peu de jonglage, de l’équilibre sur objets, puis j’ai essayé de faire un peu d’aérien, de monter à la corde puisque j’aimais ça. Et une prof m’a dit : « Tu as quelque chose, tu as une bonne poignée, une bonne présence, je veux bien travailler avec toi, je vais t’apprendre vraiment la bonne technique. » Cette femme m’a tout appris au niveau des aériens, j’ai fait des cerceaux, des duos de trapèzes, du trapèze volant, de la corde lisse… Et finalement, j’ai découvert que ma discipline de prédilection, c’était les aériens. Mais j’ai continué le théâtre et je me suis formée comme comédienne et comme acrobate aérialiste, comme on dit aujourd’hui. J’ai choisi la discipline du cerceau, un agrès [outil de cirque] que je connais très bien, c’est l’agrès de ma vie, c’est avec lui que j’ai gagné beaucoup d’argent, et je travaille encore avec lui. Il y a beaucoup de contorsions, de tractions de bras, en anneaux on se suspend, on circule, on fait des promenades…

  • Finalement, après toutes ces années, tu as fini par terminer tes formations à Rio…

En 1997, j’ai obtenu une bourse du gouvernement brésilien pour venir faire une recherche au Centre National des Arts du Cirque à Châlons-en-Champagne. Je suis venue au CNAC en tant que chercheuse, j’ai suivi la formation de formateur et j’avais une thèse à rendre au Brésil sur les évolutions des disciplines aériennes et les arts du cirque. Là, j’ai tout appris. C’est en immersion au CNAC pendant deux ans que je suis devenue ce que je suis aujourd’hui, enseignante et responsable des corps qui volent.

  • Comment t’es-tu retrouvée à Amiens ?

Après l’Université Paris VIII, puis Bordeaux, je suis tombée enceinte de ma fille et je suis venue vivre en Picardie avec mon ex-mari. Venue faire un casting au Cirque d’Amiens pour présenter un duo d’acrobates, le directeur de l’école de cirque m’a repérée et m’a proposé d’y donner des cours. C’était en 2008, et je suis toujours là !

  • Tu es donc principalement enseignante ?

Je suis artiste aussi, je travaille individuellement et dans plusieurs compagnies, comme Acta Fabula, une compagnie de Romainville. Ça constitue la moitié de mes activités.

  • Tu présentes fréquemment des “shows aériens sur mur”…

Oui de la danse-escalade, c’est-à-dire se suspendre en l’air avec des agrès, des outils pour l’escalade, la danse aérienne… Je l’ai fait sur des bâtiments à Rio, São Paulo, Paris, Lyon, un peu partout. C’est de la danse à part entière, on est en face du béton construit par l’homme et on exprime ce béton, cette architecture, ces grands buildings, à travers notre corps. Vu du public en bas, on est un peu comme des petits papillons, des petites lucioles… C’est mon petit péché mignon, c’est quelque chose que j’aime beaucoup faire.

  • Par rapport aux cirques que connaissaient nos anciens, Annie Fratellini, Zavatta, etc., qu’est-ce que le nouveau cirque ?

Ça a beaucoup changé, le nouveau cirque est une façon d’être dans l’espace et dans le temps, pour moi le cirque c’est une philosophie, un mode de vie qui n’est que dans la poésie et dans la beauté, maintenant on peut écrire du cirque en étant dans la poésie, la littérature, la musique et même la peinture…

  • J’ai vu que tu as participé au carnaval de Dunkerque en 2011…

Oui, grâce à une émission de France 3 qui proposait de venir partager nos propres expériences. Donc les gens de Dunkerque sont venus chez moi, on a passé trois jours à la campagne dans ma routine de travail, puis ils m’ont dit : « Toi la Brésilienne, tu vas découvrir le carnaval qu’on aime dans le Nord. » Au carnaval de Dunkerque, j’étais vraiment contente, c’était la chaleur humaine que j’aime, le corps à corps, ça m’a vraiment fait pleurer de joie. Ils m’ont accueillie avec le cœur ouvert, j’étais vraiment au milieu de la bande de Malo, c’était super, j’ai adoré. Des gens chaleureux, que j’aimerais rencontrer à nouveau un jour…

  • Il nous faut conclure avec l’élection présidentielle au Brésil…

Moi je soutiens Lula, un gars qui revient de très loin, une sorte de phénix qui ressurgit en puissance [1]. Il faut avoir l’espoir que le Brésil puisse redevenir un joli continent de joie, et pas de rage, d’hostilité, de fake news et de mensonges. Pour moi, le Brésil c’est la musique, la danse, la joie de vivre, et pas la haine et la chasse à l’homme…

Notes :

[1L’entretien a été réalisé quelques jours avant le second tour de l’élection présidentielle au Brésil