Éditions Flammarion, 488 pages, 300 planches, broché, 17 x 24 cm, 29,90 €
Rock Strips. L’histoire du rock en BD de Vincent Brunner

À fond les manettes : énergie jubilante

par ALPHONSE CUGIER
Publié le 9 décembre 2022 à 13:53

Certains livres, à peine entrouverts, émettent de grands éclats de percussions, de basses qui cognent, de riffs acides de cordes de guitare enrobés de savoureuses dissonances, de mix tant harmonieux qu’éclectiques de rock, pop, soul, folk, certains émaillés de dérapages plus ou moins contrôlés vers le burlesque, voire le grotesque ou le hurlant, exhibitionnisme assumé (chacun reconnaîtra les siens). Des groupes, musiques et chansons, ont embrasé notre quotidien d’une intensité telle qu’il s’en est trouvé transfiguré. Concerts spectaculaires où l’excès joue à plein : y penser aujourd’hui… Ce qui revient dans les yeux, ce qui scande dans les têtes, «  vertiges de paradis perdus » ? Par bonheur, il y a les disques, les CD et DVD devenus des « classiques » pouvant ou devant figurer dans la discothèque de « l’honnête amateur » de la musique des 20e et 21e siècles. Dire que 70 ans auparavant, le rock était mal vu, crado et polluant, « musique » de voyou. Il s’est coloré pop, n’a pas hésité à aborder des sujets politiques et d’envoyer à la cantonade des messages en tous genres. Les punks ont débarqué, ces nouveaux barbares ont tout bousculé, désaccordant leurs guitares, « feulant faux  ». Puis certains rockers se sont assagis, même si, outre Atlantique, des « gens bien » continuent de s’offrir des autodafés de disques, ce qui n’empêche pas des chanteurs de devenir des stars à l’échelle de la planète : David Bowie qui sait revenir percutant, (on peut évoquer en sus Bruce Springsteen qui vient de remiser (définitivement ?) tout engagement politique pour extraire de son patrimoine quelques standards de soul et leur donner un nouvel élan). En France, dans les années 1980, on parle de culture rock qui serait exclusivement l’apanage des jeunes. Et les jeunes de cette décennie ont grandi, vieilli et, aujourd’hui, ils viennent en nombre assister aux concerts de groupes qui se sont reconstitués après une plus ou moins longue éclipse. David Bowie avait raison de chanter « Don’t let me down » (Ne me laisse pas tomber). Les fans endurcis ou non renouent avec les albums légendaires, les apprécient et ce d’autant plus que certains d’entre eux ont été réédités, remastérisés, plus incandescents que jamais.

Instantanés de la geste musicale : un must

Cinquante auteurs et autrices de BD, parmi lesquels Loustal, Luz, Mathieu Sapin, Coco, les autres de même calibre, ont choisi un artiste ou un groupe parmi les soixante qui exhalent un charisme fou, une classe insensée et des performances qui laissent pantois, d’Elvis Presley à Amy Winehouse, en fonction de l’amour viscéral qu’ils portent à la musique électrique, à la matière binaire et autre. (Seul Charb s’est confronté à un groupe qu’il déteste). Chacun d’eux bénéficie d’une présentation accompagnée d’une biographie réservée à la musique et d’un choix de disques. Cela donne un gros volume qui a de quoi séduire les fans, les profanes et de quoi initier les néophytes. Autant de virées de puissance subversive, de rencontres jubilatoires. The Kings au rock mélodique et élégant, supplanté au panthéon des géants par les Beatles, Stones et Who. The Stranglers fauteurs de troubles comme les Sex Pistols, le « mal incarné  » d’une Angleterre corsetée, textes incendiaires et sarcastiques… les tabloïds se déchaînent. The Clash, éveilleur de conscience dénonçant l’impérialisme US. Nick Cave, fureur et douceur marchant de concert… Et tant d’autres AC/DC, Jimi Hendrix, Pink Floyd, Bob Dylan, Janis Joplin, Bob Marley, Led Zeppelin… Rock, Gospel, blues, hip hop, punk… Comment donner une profondeur narrative à des envolées électrisées, des partitions vénéneuses, à des agités du vocal et à des ballades apaisées, comment composer des récits imagés pour suivre le parcours de ces artistes et de ces formations. Les dessins tout en angles aigus ou en rondeurs jouent admirablement avec l’espace, les ambiances, les tonalités et le rythme et rendent perceptibles au lecteur les sensations sonores : le rock, qu’il soit abrasif, tout en finesse et retenue, provocateur, cérébral, survitaminé, plein d’épices, drôle ou sincère, en un mot essentiel. Imbriquées dans les cases, les bulles voisinent ou s’intercalent avec des textes inspirés faisant alterner monologues, dialogues et discours intérieurs. La BD à déguster « single par single  » s’avère le viatique idéal pour être à l’unisson avec cette somme de retrouvailles, étourdissant voyage sonore éclectique, retour de flamme qui rend présents concerts historiques, galettes rutilantes, standards sublimés, autant de pépites, the must absolu.