Adrian Æ de Philippe Raymond-Thimonga

Désirs de stars et futur machiné

par ALPHONSE CUGIER
Publié le 18 février 2022 à 12:52 Mise à jour le 9 février 2022

Hollywood 1953, lors d’une réception où se retrouve ce que le cinéma compte de vedettes, celle qui est attendue, miracle d’un mirage, c’est Ava Gardner, déesse d’une beauté sculpturale, la star mythique par excellence et qui a rarement été au cinéma autre chose qu’elle-même, « terriblement humaine et vulnérable », Comtesse aux pieds nus ou Pandora. Elle apparaît sublime dans son fourreau vert, captant tous les regards, en particulier celui d’Adrian Experinger qui tarde à livrer à la MGM le scénario qu’attend le réalisateur des Mabuse, Metropolis et M le maudit, Fritz Lang qui a fui l’Allemagne nazie.

Passion et techniques de surveillance

Ava Gardner parvient à obtenir un aveu d’Adrian, il lui a réservé dans le film Adrian et les visiteurs, le rôle de la femme aimée, véritablement aimée. Des années plus tard, au sein d’un laboratoire situé dans le désert des Mojaves au sud du Nevada, deux ingénieurs observent, notent et analysent Adrian. Le lecteur, se croyant libre, se trouve impliqué dans le dispositif. Le roman est composé de courts chapitres enlaçant les vies imaginaires d’Ava et d’Adrian et alternant deux mondes en apparence imperméables l’un à l’autre : d’une part, Hollywood, ses fards, simulacres, faux-semblants et son échotière Hedda Hopper qui soutient la chasse aux communistes organisée par le sénateur McCarthy et qui précise qu’« Hollywood n’est pas une entreprise destinée à fabriquer des rêves, mais des hommes réels » ; d’autre part, la Silicon Valley, ses calculs glaçants et son « rêve de la fabrication d’un homme réel ». L’auteur, qui s’adresse en permanence au lecteur, joue de tous les ressorts du romanesque afin de cerner ce monde de fantômes, de se livrer à une analyse spectrale de Los Angeles, la Cité des Anges et d’explorer cet univers de la mathématique et des algorithmes aux pouvoirs de plus en plus étendus et performants dans le domaine de la surveillance et du contrôle de l’être humain, transformé en animal de laboratoire, jusqu’à mettre en scène sa vie privée (l’auteur citant entre autres Les Mille yeux du Docteur Mabuse réalisé par Fritz Lang en 1960). Des stars, leurs doublures ou leurs clones… Une impression de réalité se dégage paradoxalement de l’illusion qui fonctionne à plein. Emboîtement de récits, mise en abyme, tourbillon d’images, énigmes accompagnées d’indices… Philippe Raymond-Thimonga captive, maîtrisant cette construction savante dotée d’une vision acérée et réussit le tour de force d’inventer dans la fiction, d’articuler un Hollywood « augmenté » et un centre de recherche, l’imagination et l’expérimental et ainsi parvenir à pointer la progression fulgurante et irrésistible du numérique et de l’intelligence artificielle. Vertigineux et effrayant.

Serge Safran éditeur, 192 pages, 17,90 €.