Les années sans soleil de Vincent Message

État d’alerte : conjurer la peur

par ALPHONSE CUGIER
Publié le 24 février 2022 à 18:08

Elias Torres, écrivain et libraire indépendant à mi-temps vit à Toulouse, sans souci particulier, avec son épouse aimante et ses deux enfants, Maud, une fille de dix-sept ans, et Diego, un bambin. Des lecteurs passionnés comme lui se retrouvent, lisent, discutent : amitié et partage. Le temps passe agréablement, agrémenté d’escapades dans les Corbières et de balades le long de la Garonne ou du canal du Midi. Un plaisir renouvelé jusqu’au jour où il est refoulé comme tous les passagers à l’aéroport de New York où il se rendait pour présenter son roman qui venait d’être traduit. C’est bien à un confinement que les populations sont astreintes : fermeture des commerces décrétés non essentiels, restriction des libertés, rupture des liens sociaux, contrôles policiers… et état de saturation dans les appartements à longueur de journée, intimité mise à mal. Tenir la maison du matin au soir use physiquement et nerveusement. Maud séparée de ses amis et de son copain tempête contre les gouvernants et glisse vers la déprime.

Vaincre ce qui mine

Tout en s’efforçant de protéger les siens, Elias veut maîtriser ces temps d’incertitude, d’appréhension et se met à chercher dans le passé des périodes où le sort de l’humanité se trouvait menacé (peste noire, grippe espagnole…). Une manière de relier l’intime, le social et l’Histoire. C’est dans les ouvrages que lui prête Igor, son ami, un vieux poète, qu’il découvre les années 535-536 au cours desquelles le monde est entré dans une sorte d’âge glaciaire en raison d’un soleil catastrophiquement lunaire (conséquence d’une série d’éruptions volcaniques ?). Comment tenir bon en cette période d’anxiété que nous avons vécue à des degrés divers et s’extraire du dépérissement de la volonté dans l’incapacité d’agir. Retrouver dans cette France ligotée par le maussade des raisons d’espérer et un peu de musique dans le cœur pour faire chanter à nouveau l’ordinaire de la vie ? Reprendre contact avec le monde, cultiver l’amitié : proximité chaleureuse, don renouvelé de la présence des autres, force du lien… chercher des réponses dans les livres, ce qui favorise le tutoiement de chacun avec lui-même et aiguise la pensée. Le regard que porte Vincent Message sur ce vide ambiant n’est jamais fataliste. L’auteur inscrit dans ses phrases la mémoire vivifiante de ceux qui ont choisi les mots, le rythme d’une écriture plus libre. Il parvient à dire ce que l’on est et pense, au plus intime de soi et donne de ses proches, de ses amis et de son temps, c’est-à-dire du nôtre, une image porteuse de vérité. Le roman dès lors agit comme un onguent aux vertus apaisantes, réponse au vide ambiant et promesse d’un futur non incarcéré.

Éditions du Seuil, 256 pages, 19 €.