Mortel imprévu de Dominique Monféry

La morsure des ténèbres du Grand Nord

par ALPHONSE CUGIER
Publié le 29 juillet 2022 à 15:16

Edith, épouse d’un médecin londonien, le quitte ne pouvant plus supporter sa violence. Elle part à destination de l’Amérique, trouve un emploi de femme de chambre dans une famille aisée de Californie et rencontre Hans, un charpentier dont elle tombe amoureuse. Elle accepte de lier sa vie à la sienne, l’accompagne dans le Grand Nord canadien au moment de la ruée vers l’or. Harkey, un ancien soldat de la guerre de Sécession qui vient d’enregistrer sa concession leur demande de l’aider à prospecter.

Rêves en miettes

Avec deux autres orpailleurs, Michael et Dutchy, ils installent un campement au Klondike. Dans les premiers temps, règne une ambiance familiale, rires et apprentissage de la lecture et de l’écriture. Edith est heureuse, se lie d’amitié avec une tribu indienne voisine et commerce avec elle. Le petit groupe se prépare à affronter l’hiver glacial. Personne ne se plaint sauf Michael que le froid, l’isolement et une fixation sur la poussière d’or amassée rendent de plus en plus sombre et renfermé. Un soir, il entre dans la cabane et abat Harkey et Dutchy. Aidé par Edith, Hans parvient à le maîtriser mais, pris d’une rage folle soudaine, s’acharne à le rouer de coups et veut le tuer. Edith, abasourdie par cet accès de fureur bestiale, l’en empêche et tous deux, emmenant Michael ligoté, décident de revenir en ville. Ils traversent les monts glacés, harcelés par les loups affamés. Engrenage fatal, on est happé tout au long de ce terrible et impressionnant retour dont le spectaculaire s’inspire à la fois de l’esprit sauvage des espaces montagneux que Jack London a parcourus en 1897-1898 et de l’oppressant et l’horrifique chers à Stephen King. Folie meurtrière, trois planches muettes de sauvagerie. Dominique Monféry démontre une étonnante maîtrise dans le réalisme le plus brutal, images cauchemardesques d’une force sidérante. Il se libère de la contrainte du découpage classique en écrasant les cases horizontales lorsque la tension s’accentue, les disloque quand la vioence est à son comble. Le récit est aussi construit par un travail sur la lumière et la profondeur de champ (quand Edith s’apprête à partir, elle est encore face à un espace d’obscurité mais la voûte éclairée qu’elle va franchir est proche).

Un style à cran d’arrêt

Les changements de tonalités interviennent dans le même sens : du bleu noir d’un océan fortement agité (la traversée de l’Atlantique) à une grisaille rose crème de l’arrivée en Amérique, puis à l’ocre clair qui baigne une Californie tant attendue. La forme des cases et les couleurs proches du monochrome ra-content à la fois, jusqu’au dénouement, avec une perfection confondante, une nature sauvage, un monde de violences enfouies qui éclatent et l’histoire d’une femme forte qui s’évertue à préserver son humanité en toutes circonstances.