Un « Misanthrope » façon Françon

par PAUL K’ROS
Publié le 6 mars 2019 à 13:27

Alain Françon met en scène Le Misanthrope au Théâtre du Nord. Du Molière d’aujourd’hui. A voir jusqu’au dimanche 10 mars.

Célimène et Alceste. Au second plan : Éliante et Philinte.
© Michel Corbou

Sonneries de cor de chasse dans le lointain d’entrée de jeu et en guise de fond de scène un sombre entrelacs de forêt. Mais ne nous y trompons pas : la chasse à courre, pour cruelle qu’elle soit, se mènera ici à coups de joutes verbales allusives et piquantes, de répliques mordantes, de banderilles gaillardes et d’envolées oratoires infatuées dont le vernis policé peine à recouvrir le cynisme ravageur du propos. La langue de Molière s’entend à merveille à nous dévoiler les noirceurs de l’être sous l’éclat du paraître.

Faux-semblants et coups fourrés

L’action du Misanthrope se passe dans la ruelle de Célimène, sémillante jeune femme bien en cour et de toutes parts courtisée. Veuve séduisante, elle est une proie de choix pour les hommes d’un petit cénacle proche du pouvoir qui n’ont d’autre envie que de l’épingler à leur tableau de chasse. Elle le sait, elle en joue et excelle à en tirer parti, sa façon à elle de défendre sa position sociale. Marie Vialle campe une coquette cachant sous une indéniable rouerie et des airs parfois encanaillés une indicible fragilité. Tel un papillon , elle restera à la fin de la pièce (superbement crépusculaire) attirée avec force par les lueurs pétaradantes d’un feu d’artifice. Les artifices, il est vrai, sont monnaie courante au sein de cet aréopage élitaire de la société.
Alceste, le misanthrope de l’affaire, sincèrement épris de Célimène et apparemment payé de retour, fait bande à part et figure d’original refusant l’hypocrisie des mœurs en vigueur dans ce microcosme truffé de faux-semblants et de coups fourrés. Gilles Privat, tout d’intégrité intransigeante et austère malgré une physionomie bonhomme, refuse avec un emportement volubile et comme monté sur ressorts « l’art de feindre », soucieux de préserver sa liberté « d’homme d’honneur » ; il préférera se tirer « du commerce des hommes », s’exfiltrer de ce monde plutôt que de penser à le changer ; la chose n’étant pas encore à l’ordre du jour en ces premiers temps d’absolutisme.
Son ami Philinte (Pierre-François Garel, magnifiquement nuancé, oscillant avec la sensibilité d’un sismographe à la moindre variation de cette structure sociale) s’en accommode, à l’aune d’une bonne foi sécuritaire raisonnée.
Alain Françon déplace les pions sur l’échiquier des rivalités amoureuses et sociales avec une précision extrême ; les uns et les autres (tous excellents) sachant à merveille faire banquette en quête d’une parcelle de pouvoir.
Ce Molière-là, c’est aujourd’hui.

Le Misanthrope, de Molière, mise en scène Alain Françon, jusqu’au 10 mars au Théâtre du Nord, à Lille.
Tél. : 03.20.14.24.24