© Simon Gosselin
Like flesh, opéra de chambre de Sivan Eldar en création mondiale à Lille

La complainte de l’arbre au fond des bois

par PAUL K’ROS
Publié le 28 janvier 2022 à 16:11

Une maison en forêt. Un couple, la soixantaine, fatigué du cours du temps passé y héberge une jeune étudiante. La femme malheureuse de l’attitude possessive de son époux trouve une échappée dans une connivence idyllique naissante avec l’étudiante. Ce pourrait être une banale histoire de triangle amoureux sauf qu’après avoir embrassé sa compagne lors d’une balade sylvestre, la femme mariée se métamorphose en arbre dont elle exprimera dès lors le langage et le mode d’être au monde. Situation qui ne fait pas l’affaire du mari bûcheron de profession ni, peut-être, de l’étudiante ainsi déroutée dans la manifestation de ses élans amoureux. Librement inspiré des Métamorphoses d’Ovide, l’opéra de chambre composé par Sivan Eldar sur un livret de Cordelia Lynn devrait faire date par son écriture musicale singulièrement innovante.

Une musique renversante

La compositrice israélienne qui signe son premier opéra fait preuve d’une superbe maîtrise dans le traitement des voix en lien étroit avec une pratique particulièrement novatrice de l’écriture musicale instrumentale et électro-acoustique qui fait que l’on entend à la fois le point de vue de l’homme sur son environnement mais aussi le souffle, les frémissements, les craquements, en un mot le langage spatialisé des éléments naturels, arbre, forêt, exprimant leur rapport au monde. Le résultat est renversant et fait naître chez l’auditeur des sensations inédites, une écoute, un entendement de la nature musicalement exprimé que l’on n’avait pas encore éprouvé jusque-là. Il faut dire aussi que l’interprétation musicale et vocale bénéficie des soins attentifs de Maxime Pascal dont on connaît l’expertise en la matière à la direction de son ensemble instrumental acoustique Le Balcon, augmenté pour l’occasion d’un impressionnant dispositif inédit de 64 haut-parleurs placés dans la salle sous les sièges des spectateurs (réalisation informatique Augustin Muller « Ircam ») Notre enthousiasme sera moindre s’agissant du livret dont le texte alambiqué, certes dans le vent des préoccupations écologiques dominantes aujourd’hui comme de l’exploration de nouveaux sentiers du désir amoureux, ne nous a pas semblé être à la mesure des enjeux qu’il entend évoquer ni susciter par le choix des mots ou l’agencement des idées ces étincelles émotionnelles qui nous font vibrer. Peut-être n’est-ce là après tout qu’une première impression.

Des sensations inédites

Ce drame opératique singulier est découpé en quinze tableaux distincts dont les humeurs et climats sont figurés de façon très suggestive par le biais d’images mouvantes fantasmagoriques au fort pouvoir attractif projetées dans de petites lucarnes baroques qui donnent à entrevoir ou à suggérer les métamorphoses à l’œuvre dans la nature et chez les humains. L’espace scénique proprement dit ayant l’aspect d’un lieu uniforme désert et sombre censé symboliser les ravages de la catastrophe climatique (mise en scène et scénographie, Silvia Costa ; création vidéo, Francesco D’Abbraccio).

Les lucarnes des métamorphoses

La distribution est en tous points remarquable :

  • La contralto néerlandaise Helena Rasker, épouse fatiguée au moral comme au physique, s’éveille de nouveau aux palpitations de la vie et du désir amoureux tout en s’épanouissant dans le monde des arbres.
  • Le baryton William Dazeley campe un bûcheron tout d’une pièce, à peine équarri, tout étonné de ce qui advient.
  • L’arrivée de l’étudiante (Juliette Allen, soprano) est le grain de sable qui va faire dérailler le train-train quotidien, aussi aura-t-elle vite fait d’abandonner son volumineux sac à dos et son casque colonial d’exploratrice des années trente pour mieux laisser libre cours à ses craintes environnementales et à ses désirs amoureux.
  • La forêt n’est pas en reste qui s’appuie sur un ensemble choral de six voix bien charpentées pour faire entendre ses doléances (Adèle Carlier et Hélène Fauchère, sopranos ; Guilhem Terrail, contre-ténor ; Sean Clayton, ténor ; René Ramos Premier, baryton ; Florent Baffi, basse). C’était en création mondiale à l’Opéra de Lille.

Like flesh, opéra de chambre de Sivan Eldar, livret Cordelia Lynn, direction musicale Maxime Pascal, ensemble Le Balcon. À l’Opéra de Lille jusqu’au vendredi 28 janvier. Renseignements et billetterie : opera-lille.fr.