© Alexandre Caffiaux
Les chroniques de JPM à La Chope

Rencontre avec Cyril Viallon, danseur et chorégraphe

Publié le 18 février 2022 à 16:03 Mise à jour le 22 février 2022

J’ai quitté Tata Atsou et Saint-Louis du Sénégal. C’est donc à La Chope que je vois rentrer Cyril, tenant fièrement une céramique bordeaux en forme de feuille de vigne, ornée de liserés dorés. Elle me rappelait quelque chose. « Je reviens d’une brocante. Ce sera un plateau à fromage délicieusement ringard », me dit-il en commandant un crémant. « Oh, c’est beau » lui dit Samir. Je savais qu’il mentait mais il est commerçant. Et puis, faut accepter le goût des autres. Cyril est né le 11 mai 1968, « la première nuit des barricades », sa grand-mère disant à sa mère : « Ne regarde pas la télé, tu vas accoucher plus vite. » Issu de la classe moyenne, loin du milieu artistique, c’est au cinéma d’art et d’essai de Saint-Étienne, « Le France », que Cyril découvre ses premiers films, marqué par Les nouveaux monstres de Dino Risi, Yellow submarine et Alice au pays des merveilles, « un film suédois qui m’avait fait super flipper ». Son enfance, c’est aussi une balade en calèche à Salzbourg avec sa mère, l’expo Dali au Centre Pompidou. C’est en voyant Flashdance qu’il découvre la danse. Mais l’enfance de Cyril, c’est surtout les brimades, la violence. Homosexuel, sa jeunesse est difficile, notamment à l’école. « Sauf à mes cours de danse. J’étais dans un monde hyper féminin et gracieux. Il n’y avait que des danseuses. J’étais le seul mec. Je pouvais briller, être mis en valeur, ne pas être “une sale tapette”. Cela m’a valorisé. Plus tard, j’ai eu du mal avec la Gay Pride. Je n’étais ni fier ni honteux d’être homosexuel. C’est bien après, en étudiant les luttes menées par la communauté gay, que j’ai compris leur importance, tout comme celle des LGBTQIA+ aujourd’hui. Mon neveu est transgenre. Je vois comment l’entourage familial est alors embarqué dans un changement profond s’il décide de rester dans une relation d’amour. Jeune, si j’avais pu être soutenu, sans doute aurais-je eu une vie plus sereine, plus tranquille. » Cyril devint chorégraphe professionnel en 1996 à Paris. « Je découvre alors la violence de ce métier, du milieu de la danse. On parle beaucoup du harcèlement sexuel ou moral des comédiennes au théâtre, mais il existe exactement la même chose dans le milieu homo de la danse. Pourquoi cela n’est-il pas dénoncé ? » me dit Cyril. J’aurais pu lui demander de me raconter sa vie. Mais le mieux est sans doute d’aller le voir sur scène dans Maniac, un triptyque joué, dansé, chanté, où il revient sur sa vie et son rapport avec la danse. Accompagné de Benjamin Collier et mis en scène par Chloé André, « ce n’est pas “un ego trip”, mais c’est surtout un témoignage sur une époque, une volonté de rendre universelle mon histoire ». Les mots de Cyril prenaient toute la place, des mots simples, sans posture, évoquant ses joies et ses souffrances. « J’aime tellement la rencontre, j’aime les gens. Je me suis construit une armure parce que j’ai été agressé. Je me suis beaucoup caché. J’aime débattre, m’engueuler, que mes frontières puissent bouger. Cela me grandit », me dit-il en quittant La Chope. Il avait un sourire amical. Tout m’est alors revenu ! Ma grand-mère avait la même feuille de vigne !

MANIAC Opus III, à voir le 1er mars à 19 h au Gymnase CDCN de Roubaix en ouverture du festival Le Grand Bain, puis le 18 mars à 20 h au Majestic de Carvin.