Les chroniques de JPM à La Chope

Rencontre avec Elena Zhilova, comédienne et metteuse en scène

Publié le 16 octobre 2020 à 15:27 Mise à jour le 28 octobre 2020

Polo me dit : « Je ne l’imaginais pas comme ça, ta danseuse russe. » « T’es con ! Tu croyais qu’elle viendrait en tutu ? Elena voudrait un diabolo violette. Tu m’en sers un, Samir ? Qu’est-ce que tu as Polo ? Tu voudrais qu’elle prenne une vodka ? » Faut dire qu’Elena Zhilova, jeans déchiré et Doc Martens était loin du petit rat sortant du Bolchoï. Arrivée en France il y a tout juste quinze ans, elle a gardé de sa Russie natale une pointe d’accent. Mais ce ne fut pas simple au début : « Élève au Conservatoire national de Saratov, je tournais en France Penthésilée de Kleist, mis en scène par Milianti. À Dunkerque, j’ai rencontré mon amoureux. Toutes les filles russes pensaient que la France était le paradis et voulaient quitter le pays. Moi pas. C’est pourtant ce que j’ai fait. J’ai quitté la Russie, ma famille, un travail pour venir ici. C’était difficile, surtout l’apprentissage de la langue. Et les seuls contacts avec ma famille étaient un appel téléphonique de 30 minutes que je donnais à ma mère d’une cabine. Il n’y avait pas internet. Au bout d’un an, je parlais convenablement le français et j’ai eu mon premier contrat, à l’université de Dunkerque, comme comédienne. J’ai travaillé avec Grégory Cinus, Antoine Lemaire, Gérald Dumont, Brigitte Mounier, Christophe Piret. »

J’avais voulu rencontrer Elena quelques jours avant sa création Requiem, spectacle qu’elle interprète et met en scène autour de la poétesse russe Anna Akhmatova. « Comment vivre avec cette calamité ? Et dire qu’on l’appelle la Muse ! » dit Sergio qui montrait fièrement qu’il la connaissait bien. « En France, j’ai remarqué que personne ne connaît la culture russe à part Ivan Rebroff, le caviar, Poutine. » « Et la vodka » dit Polo. « Anna Akhmatova est la poétesse la plus célèbre, et son recueil Requiem le plus important. Écrit pendant la période stalinienne, elle inscrivait chaque poème sur du papier, le faisait lire à ses amis et le brûlait de suite. Très critique en- vers le stalinisme, elle et sa famille étaient surveillés. Elle n’a jamais cherché à s’exiler. Morte en 1966, ses œuvres ne seront pu- bliées en Russie qu’en 1986. » Elena me dit n’avoir connu que la fin du communisme, mais en garde pourtant des souvenirs : «  Je me souviens de cette peur que j’avais dans les magasins avec des tickets pour acheter de quoi manger sans savoir s’il y aurait assez. Tout le monde était habillé pareil, tout le monde faisait du sport et allait aux parades. Ces jours de fêtes, les ouvriers sortaient alors avec les fleurs. Je ne comprenais pas ces obligations. » Puis elle rajouta : « Si j’ai envie de dire la poésie d’Anna Akhmatova, c’est que j’ai peur pour mon pays. Poutine combat l’opposition. Le pire est qu’encore aujourd’hui, certains regrettent Staline. » Pour Requiem, Françoise Delrue a traduit avec elle les poèmes : « Les traductions actuelles me semblaient scolaires, pas assez violentes, trop gentilles. » Les musiques ont été écrites par Laurent Delestre, jouées sur scène par Philippe Gautiez et Jean-Christophe Gorisse. Elena se qualifie de comédienne corporelle. Elle chante aussi. Il y aura de tout cela dans ce spectacle : « J’ai mis deux ans à le préparer. Une semaine avant sa création, le virus pourrait remettre tout en cause. Si je devais dire quelque chose au lecteur de Liberté Hebdo, c’est : “Prenons soin de nous”. » Polo acquiesça, posa son verre de blanc, et se commanda un diabolo violette.

Requiem, samedi 17 octobre à 19 h au Théâtre de la Verrière à Lille.