Les chroniques de JPM à La Chope

Rencontre avec Marie Prete, conteuse et comédienne

Publié le 5 février 2021 à 15:56

« Mes parents viennent d’Italie. En arrivant à Roubaix, ma mère travaillait à la filature et mon père était maçon. J’ai grandi dans une courée, dans le quartier de l’Alma, rue de la Guinguette. Il y avait Olivia, ma copine portugaise, Momo l’Algérien, Suzan et Raymond qui avaient aidé mes parents à leur arrivée en France », me racontait Marie, un verre de rouge à la main, en regardant de façon attendrie Günther qui roupillait devant la grille fermée de La Chope. « On n’était par riche. Mais c’était vivant. » C’est ainsi qu’elle a commencé à me parler d’elle, revenant avec émotion sur sa jeunesse. « Chez moi, je n’avais qu’un livre, des contes de fée, que ma grande sœur me lisait tous les soirs. Mais ce qui m’a surtout donné le goût des histoires, c’est une prof de français qui m’a emmenée au CDI. J’ai découvert les livres. Mais bizarrement, c’est par la télé que je suis arrivée dans ce métier. » Effectivement, la vocation vient parfois de façon étrange. C’est en voyant Michel Boujenah à la télévision, racontant comment il était devenu comédien, que Marie s’intéressa au théâtre. Elle s’inscrit alors à l’atelier théâtre de la MJC. « Je n’avais pas d’argent. À chaque cours, je disais que je payerai la semaine suivante. Je ne l’ai jamais fait. Je crois que finalement, les élèves se sont cotisé pour que je puisse rester. » Marie vient de là : une courée, de la solidarité et de l’éducation populaire. Après des études de lettres, elle débutait avec les Aviateurs de Wazemmes en théâtre de rue. « Je me demandais comment je pourrais mettre le texte dans la rue. » Mais c’est sa rencontre avec Juliette Campane qui fut capitale. « Je suis devenue lectrice, puis j’ai rencontré le conte. Cela me rappelait ma culture populaire, de là où je venais. J’étais fascinée par cette idée de transmission, par la force symbolique des contes. Aujourd’hui encore, je ne sais pas si le conte est venu me chercher, ou l’inverse. J’avais alors la conviction que rien n’était gagné lorsque l’on vient d’un milieu populaire. Le conte m’a ouvert à la richesse de l’imaginaire. C’est de l’ordre de la rencontre. Le conte est l’art de la relation. » Günther avait ouvert un œil. Les mots de Marie résonnaient dans la salle de La Chope vide, sentant la peinture fraîche. Parfois, elle riait de ses souvenirs, me parlait des dizaines de spectacles qu’elle avait créés au sein de la compagnie La Vache bleue. « J’ai créé mon premier spectacle pour tout-petits en 1996. Personne ne faisait ça à l’époque. Maintenant, c’est à la mode. De jeunes compagnies s’intéressent au sujet, et c’est tant mieux. Mais les tout-petits ne doivent pas être un terrain d’expérimentation à des fins esthétisantes, sans tenir compte de la spécificité de ce public, pour satisfaire les institutions. Nous avons une réelle responsabilité. C’est toujours le sens qui m’a animée, le goût de la rencontre, beaucoup plus que l’envie d’être dans les institutions. Je n’ai pas l’ambition d’être connue. Je ne l’ai jamais fait pour ça. » Avant de partir, Marie me parlait de la Fabrique à Rêves, une maisons du conte qu’elle a récemment ouverte, à Hellemmes, et qui propose des laboratoires, des journées de réflexion sur la littérature jeunesse menées par la conteuse Gigi Bigot. Elle aura une carte blanche à la Maison Folie Moulins du 5 au 11 avril. « L’essentiel, ce n’est pas la culture commerciale. C’est dangereux. La culture qui m’a émancipée, c’est la culture pour tous, l’éducation populaire. On lutte contre la violence et l’extrémisme grâce au langage. » Marie est partie, me laissant ses histoires et ses contes. Günther s’est rendormi, sans doute en rêvant, lui aussi.

Pour la contacter : lafabriqueareves @ gmail.com.