Hommage : Disparition de Marie Laforêt

Ce jour tempo de femme fatale

par Philippe Allienne
Publié le 8 novembre 2019 à 17:38

Non, cela n’est pas vrai. Marie Laforêt n’était pas une chanteuse qui a marqué les seules années 60 et 70. Juste après sa disparition, les annonces des médias mainstream sont plutôt indigentes. Les préposés à l’information dominicale parlent de trois titres phares : « Viens sur la montagne » (1964), « Les vendanges de l’amour » (1964) et « Il a neigé sur yesterday » (1979) en hommage aux Beatles, n’en déplaise à la prononciation radiophonique de ce fatal 3 novembre : « Il a neigé sur Yèsteirdèye ».

« Il a neigé sur Yesterday

Le soir où ils se sont quittés

Le brouillard sur la mer s’est endormi

Et Yellow Submarine fût englouti

Et Jude habite seule, un cottage à Chelsea

John et Paul je crois sont les seuls

À qui elle ait écrit

Le vieux sergent Peppers a perdu ses médailles

Au dernier refrain d’Hello Good Bye Hello Good Bye ».

Plus tard, la même radio rappellera qu’elle était aussi actrice et évoquera La fille aux yeux d’or , le film d’Albicocco sorti en 1961. Elle oubliera allègrement Le rat d’Amérique du même Albicocco un an plus tard. En revanche, les chroniqueurs n’ont pas oublié Plein Soleil (1961), Les Morfalous et sa fameuse réplique étincelante, Flic ou voyou (1979), etc. Joyeuses Pâques , sorti en 1984 aurait donc quitté les mémoires. Tout comme le bien plus intéressant Fucking Fernand de Gérard Modillat en 1987. Ne parlons pas du film Que les gros salaires lèvent de Denys Granier-Deferre, en 1982, où la jolie Rose n’est même pas créditée au générique. C’est ainsi : dans les minutes qui suivent la mort de Maïtena Douménach, les biographies semblent ignorer que Marie Laforêt a continué de vivre entre 1980 et 2019.

La fille aux yeux d’or a fermé les paupières

Pourquoi la réduire ainsi à cette image de « fille aux yeux d’or » qu’elle avait du reste gris vert ? Elle avouait ne pas apprécier, au moins au début de sa carrière, le bruit des trompettes de la renommée. Pourtant, cette catholique qui avait un temps envisagé entrer dans les ordres devint vite cathodique (d’abord aux côtés de personnages truculents comme Jean Yanne) et abandonna rapidement l’idée de devenir carmélite pour entrer dans le monde.

Elle le préférait aux grilles. Elle ne savait pas encore que le bruit la dérangeait et cela, c’est bien. Elle nous a tant donné à entendre, à voir et à aimer. Elle nous a ému et tant fait rire au travers de ses interprétations et de ses interviews où elle savait si bien déstabiliser ses interlocuteurs.

Tiens, il faudra penser à réécouter « Frantz » (sur des paroles de Guy Béart) et cet humour ambigu dans lequel elle excellait. Mais surtout, il faut ressortir ce CD de 1993, Renaissances, qui illustre l’immensité de son talent et de son exigence artistique. Avec cette « impression de déjà bu (...) de déjà eu » , avec ce merveilleux Richard Toll parce que « y’a qu’dans l’métro qu’tu peux rêver » , avec « Genève au printemps  », en juillet ou en automne et ce « feu de bois qui t’fais croire qu’t’es à l’Opéra tell’ment c’est beau que t’y crois pas et ça c’est bien, ou bien ? »

Et puis, il faut, tiré de ce même album, réécouter ces « Zistoires d’amours » chantées sur un ton tellement léger mais qui vaut tous les discours de « me too » avec près de trente ans d’avance.

Est-on jamais en avance pour dénoncer les saloperies ? « Les bel’ zistoires d’amour ça tombera toujours sur ceux qui n’ont rien fé pour les mérité ! » Marie, Maïténa, est partie avec sa vie, avec ses talons hauts, ses bas de gamme (...) un jour tant pis, un jour tempo de femme fatale. « Ma vie va ». Elle est partie Marie. Et ça, ce n’est pas bien.