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Les chroniques de JPM à La Chope

Rencontre avec Franck Renaud, réalisateur

Publié le 13 décembre 2021 à 10:34

Devant son café, il avait la voix calme et tranquille, me parlant de sa Picardie natale : « les champs de betteraves, la brume, les chasseurs », nostalgique quand il évoquait ses premiers cours de théâtre au collège de Saint-Quentin, son impression « d’être à part », de sa timidité qui se dissipait sur un plateau. « J’avais un certain complexe social. Issu d’une famille paysanne et boulimique de culture, j’ai découvert la littérature à la médiathèque du lycée, la collection “les films de ma vie” de François Truffaut, Mon premier choc fut 8 1/2 de Fellini. Je découvrais une autre façon de filmer. Puis le cinéma d’Hitchcock. » Franck me regardait souvent avec interrogation, comme voulant être sûr d’avoir bien répondu. Puis il évoqua rapidement ses études de théâtre à Paris et de sa rencontre avec Antoine Lemaire. « J’étais comédien au Théâtre des 5 diamants à Paris. Il m’a proposé de jouer Baloo dans une adaptation du Livre de la jungle. Ce fut le début de notre collaboration et il me proposa d’intégrer en 1999 la compagnie qu’il venait de créer : TEC . Artistiquement, nous étions sur la même longueur d’onde, très radicale. » Ce n’était pas de la nostalgie, juste une mise au point lucide, un retour amusé sur son parcours, ses choix et sa démarche artistique. « J’avais beaucoup intégré le cinéma dans le théâtre. Mais la vidéo est devenue un académisme aujourd’hui. L’image n’est pas l’essence du théâtre. J’étais content d’insuffler de l’hybride dans un spectacle. J’y mettais de la vidéo “par effraction”. J’ai toujours eu un rapport amour/haine avec le théâtre. J’ai toujours pensé que le théâtre était moins bien que le cinéma. » Franck avait de la malice, de la facétie dans les yeux. Makach Mouchkil, nos identités est le dernier film qu’il propose, une quête d’identité à travers le regard de la comédienne algérienne Mounya Boudiaf. « Je suis un voyageur immobile. C’est la première fois que je quittais l’Europe. J’ai découvert et aimé l’Algérie, la dérision de ce peuple dans un État corrompu. » Accompagné des chefs opérateurs Patrick Dehalu, Franck Bourel, et Adeline, le femme de Franck, ce denier nous invite dans ce documentaire, à suivre Mounya retournant à ses origines, ses interrogations, ses questionnements. Jusqu’à ce que lui-même devienne acteur de son propre film, s’interrogeant sur son histoire en une succession de rencontres familiales. C’est le film que nous aurions probablement envie de faire, un jour. « Ce film est un témoignage de réflexions à un instant T. Si je le faisais aujourd’hui, il serait différent. Je voulais faire quelque chose de grinçant sur l’identité, sujet souvent repris pat les politiques. Aujourd’hui, les documentaires sont prédigérés, les chaînes voulant que le documentariste ait déjà compris le sujet avant de le réaliser. Je voulais faire un film qui doute. » Franck me parla de ses prochains projets, simplement, humblement : un doc sur l’hôpital. Un autre sur le peintre médium Fleury Joseph Crépin. Franck a repris un café, presque en s’excusant. Moi, j’aurais bien parlé encore cinéma avec lui. Makach Mouchkil sera présenté le 1er décembre à la Verrière, en lien avec le spectacle L’art de perdre de la Compagnie Filigrane 111.