L’Iliade et l’Odyssée, poèmes épiques passés du chant au récit écrit, traversant les âges, sont devenus les fondements de la culture occidentale, des sources répétées d’inspiration. Des temps anciens à nos jours, Homère n’a cessé d’être réinventé. Une odyssée toujours recommencée du prince des poètes dont l’existence même est discutée : être unique ou groupe de poètes qui ont unifié leurs récits, certains établis à partir de contes transmis oralement, multiples remaniements qui n’ont guère nui à leur qualité poétique.
De tout temps, les artistes ont cherché à fixer ses traits : aveugle, prophète, mendiant ou chantant son poème devant ses contemporains de toutes conditions (tableau d’Auguste Leloir, 1841). S’inspirant du Parnasse de Raphaël, Ingres l’a déifié, dans L’Apothéose, il trône, couronné de laurier, entouré de poètes, peintres, dramaturges : Eschyle, Virgile, Dante, Poussin, Shakespeare, Racine, Molière…
De l’héroïque au romanesque
L’Iliade est peuplée de héros légendaires de stature divine et de dieux en proie à des passions humaines. La guerre de Troie que l’Histoire connaît mal est provoquée par une banale dispute entre déesses (Athéna, Héra, Aphrodite) concernant leur beauté : le prince troyen qu’elles prennent pour arbitre donne la pomme d’or à Aphrodite qui lui a promis Hélène, la plus belle des mortelles, il l’enlève et l’emmène à Troie (Le Jugement de Pâris : tableau de Watteau et tapisserie des Gobelins d’après Raphaël). Le fil directeur du poème est la colère d’Achille qui veut venger la mort de son ami Patrocle en défiant Hector (tableau de Rubens). L’Iliade n’est qu’un monde de violence : viols, massacres, razzias… Homère place le lecteur dans les deux camps, l’horrible les qualifiant.
L’Odyssée conte le retour d’Ulysse à Ithaque. Intelligence, ruse et savoir-faire l’aident au cours de sa longue errance en Méditerranée (en 1924, Victor Bérard a reconstitué son périple qui est présenté avec les photographies de Boissonnas qui accompagnait le géographe). Pérégrinations ponctuées d’épreuves et de rencontres où les figures féminines sont prépondérantes. Ulysse affronte le chant maléfique des Sirènes (lithographie de Chagall), il déjoue le piège de la magicienne Circé (tableau de Waterhouse) qui transforme les marins en porcs et échappe à la nymphe Calypso qui le retient captif en lui promettant l’immortalité et une éternelle jeunesse. Il surmonte tous les obstacles tel le passage périlleux entre les deux monstres rocheux Charybde et Scylla et parvient à sortir de la grotte du Cyclope qui est représenté parfois doté de trois yeux !
L’Odyssée se termine avec l’arrivée d’Ulysse auprès de son épouse Pénélope qui, chaque nuit, détisse son ouvrage pour repousser les prétendants. Ulysse réussit l’épreuve du tir à l’arc et sa vengeance s’abat sur ces usurpateurs (vase à deux anses à figures rouges et œuvre de Gustave Moreau).
L’éclat retrouvé
Sculptures, peintures, photographies, cartes, vestiges archéologiques, pièces de monnaie, bijoux, films (muets de Méliès et de Pastrone, ancêtre du péplum ; Ulysse immortalisé par Mario Camerini en 1954 sous les traits de Kirk Douglas), au total deux cent cinquante œuvres qui permettent d’approcher cette monumentale matière épique antique.
L’exposition, qui enlève aux œuvres présentées tout le caractère réducteur d’une simple illustration, gratifie l’héritage d’Homère d’une résonance nouvelle et en assure la pleine mesure.
À cet égard, l’inventaire de l’imaginaire occidental est fort éloquent. Idéal héroïque, amour paternel et filial, fidélité conjugale, tels sont entre autres les sujets qu’aborde le poème homérique. Qu’est-ce que vivre ? Comment construire sa propre trajectoire dans un monde de jalousies, d’ambitions, de conquêtes, de tueries ? Toute l’histoire de la littérature apparaît comme l’histoire des formes et des modalités de ce questionnement à travers les siècles et entamé par Homère qui, selon Dante, vole tel un aigle au-dessus des autres poètes.
Homère, exposition jusqu’au 22 juillet 2019 au Louvre-Lens, 99, rue Paul-Bert.
Le Louvre-Lens
Crédit de la photo prise in situ et utilisée ici en logo d’article : © Emmanuel Watteau