Roubaix

La Piscine aux confins des déserts algériens

par Franck Jakubek
Publié le 14 mars 2019 à 17:51 Mise à jour le 6 février 2020

Le musée La Piscine (Roubaix) offre pendant trois mois ses cimaises à une monumentale vision de l’Algérie de la deuxième moitié du XIXe siècle. Une exposition rare, qui révèle cet Orient masqué par les années de colonialisme à l’heure où les Algériens rêvent à nouveau de démocratie.

Etait-il tombé amoureux de l’Algérie ? Il faut croire que oui. Mais il n’en fait pas l’éloge, la captive contrée conquise de force vit sous la coupe d’un régime militaire. Lui voit les hommes, la campagne, la vie les travaux et les jours, les femmes, les enfants, la lumière et le temps. Il ne se laisse pas enfermer dans les académismes de l’époque. Ses toiles sont déroutantes, aucune ne résume son œuvre, toutes la composent.
L’anesthésie générale des colons en pleine occupation vaut l’amnésie totale qui frappe comme aujourd’hui aux portes des douars. Gustave Guillaumet a su sans la figer montrer la non-marche du monde. Il y des jours, des lumières, et des couleurs. Et toujours le temps, que rien n’efface et qui, pourtant, voit filer les générations, changer les hommes, mais pas l’espace, ni les idées.

« Tisseuses à Bou-Saâda », vers 1887. Paris, musée d’Orsay.
© RMN-Grand Palais (musée d’Orsay) / René-Gabriel Ojéda

Oriental, pas lacrymal

Avec Guillaumet, on sort de l’exotisme racoleur. La femme n’est pas danseuse ou séductrice, elle n’est définitivement par l’incarnation de la vision du machiste blanc. Ni la proie des instincts surpuissants des conquérants soudards. Pas de ça chez lui. Il est intimiste et voyeur. Curieux mais respectueux. Il montre et dévoile, mais ni seins ni gorges ostentatoires. Ici la femme vit comme toujours, comme au commencement et de même que maintenant vaque à faire du monde un espace vivable pour climats rugueux.
La douceur des toiles n’entame pas la cruauté du monde. Quand il dépeint dans une nouvelle l’agonie d’un cheval dévoré par les chiens, il sait aussi montrer la rudesse du destin par un tableau sans fards, silencieux témoin du combat de la vie. La faim, la peur se voient, se lisent dans les regards et les gestes ainsi dans un de ses rares tableaux à vertu politique, historique sobrement nommé La famine en Algérie. Un tableau protestant de la misère faite aux gens, à la façon pleinement inspiré d’un Delacroix, celui-là qui depuis Bonaparte, a bien tracé sa route jusqu’à sa Liberté guidant le peuple.

Portrait d’homme, XIXe siècle. Huile sur toile Collection particulière.
© A. Leprince

Guillaumet n’est qu’humain, il ne compatit pas, il agit, de la plume, du crayon, et au pinceau il donne mission de restituer ce qu’il découvre. Il bâtit ainsi une œuvre symphonique, d’oasis, en désert de plus en plus profond, au soleil dense, crevant l’air de chaleur. Les huiles fondaient-elles ? Souvent les tableaux sont faits à l’atelier, au retour de voyage, avec l’appui des notes, des croquis. Un travail méticuleux qui gratte au fond de l’âme de l’artiste. Pas de choix prétentieux, ni d’œuvre de commande. Non, une passion, simple, mais une passion sans retenue. Découverte par hasard, pour un imprévu de voyage pour l’Italie. Il fit dix voyages au moins au cœur d’une Algérie pas du tout « pacifiée », toujours violentée. Son statut d’Européen le prive d’une liberté de mouvement. Il est dans ses déplacements toujours accompagné de militaires. Ils sont absents de ses œuvres comme si il voulait s’en abstraire, ne plus les voir, les sortir du décor. Lui qui va pêcher les contrastes de luminosité auprès d’un point d’eau ombragé où les femmes, comme au temps premier, se rafraîchissent et discutent.  

L’universel au désert

Avec une toile comme Le Labour, on pense à Millet, certes, tant la nature humble du sujet confère à l’action du documentariste, à Caillebotte encore pour sa lumière. Mais dans un premier élan, avec l’ombre de Delacroix, il montre l’extrême pauvreté du travail de la terre. Semer pour récolter, indispensable est impérieuse nécessité. La même que partout dans le monde, où laboureurs n’ont que force et pauvres outils pour creuser leur sillon. Sur la toile, une femme portant enfant sur le dos mène un chameau tirant sur l’araire. Ployé sur l’outil, le paysan, de dos, est couvert des pieds à la tête. Le ciel menace de les foudroyer alors qu’à l’horizon une éclaircie s’ouvre entre deux montagnes, loin de la plaine labourée.

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