Mucha, l’Art nouveau en pleine lumière

par Alphonse Cugier
Publié le 14 décembre 2018 à 12:43

A Paris, au Musée du Luxembourg, l’exposition « Alphonse Mucha » est la première rétrospective consacrée à l’artiste tchèque depuis celle du Grand Palais, en 1980.

Alphonse Mucha, « Les Saisons : l’hiver », 1896. Série de quatre panneaux décoratifs, lithographie en couleur, 103 x 54 cm. Fondation Mucha, Prague.
© Mucha Trust 2018

Alphonse Mucha (1860-1939), artiste chèque venu à Paris en 1887, doit sa célébrité à ce qui est visible au quotidien, qui fait partie du vécu des populations. De ce fait, le monde « parle » Mucha : affiches publicitaires pour les spectacles, les bières de Meuse, dessins pour les biscuits LU et le papier à cigarettes Job. Prolifique, foisonnant, il n’hésite pas à illustrer calendriers, menus, papiers peints, revues, livres des contes de Grand’mère.
S’il œuvre pour une clientèle modeste, il n’en délaisse pas pour autant les gens de biens et pratique l’art du bijou pour le joaillier Fouquet de la rue Royale.
Ses débuts à Paris sont fulgurants. C’est l’affiche créée pour la célèbre tragédienne Sarah Bernhardt dans le rôle de Gismonda (pièce de théâtre de Victorien Sardou) qui le lance. Comme les artistes de l’imprimeur Lemercier sont en congé pour les fêtes de fin d’année, seul Mucha est présent. La diva, enthousiaste, lui offre un contrat de six ans (affiches, décors et costumes) : suivent les affiches pour La Dame aux Camélias, Lorenzaccio, Médée, Hamlet... Le succès est tel que les nuits parisiennes sont propices à leur découpage par des passants séduits et des collectionneurs qui ont réalisé leur qualité artistique et leur valeur pécuniaire.

La femme mise en majesté

C’est dans l’effervescence créatrice de cette fin du XIXe siècle (influence du japonisme, des Préraphaélites anglais, de la photographie et du cinéma) que la décoration se métamorphose en art. Les adjectifs se télescopent quand il s’agit de décrire ses œuvres novatrices, raffinées et sensuelles : Mucha traite l’affiche comme un tableau, associant l’héritage byzantin et des composants de facture contemporaine.
Son modèle, sa « griffe », lui qui chiffonne la réalité comme un grand couturier : des jeunes femmes à la chevelure ondoyante, revêtues de tenues diaphanes au drapé mouvant, silhouettes statufiées en liane dans un écrin de longues plantes aux fleurs épanouies et de fruits, sorte de guirlande riche en torsades. L’arabesque, forme reine en mouvement, se déploie en toute liberté. Ces œuvres aux angles adoucis sont vivifiées par des couleurs pastel, fertiles en tons suaves et délicats. Un enchantement pour les yeux.

Humanisme et pacifisme

C’est avec une conviction profonde que Mucha, chef de file de l’Art nouveau et patriote tchèque, agit en faveur de la paix. À l’occasion de l’Exposition universelle de 1900, il réalise un livre illustré, Le Pater, qui retrace les progrès de l’humanité vers la lumière. Le décoratif se marie à des visions utopiques qui fondent ensemble idéal nationaliste et humanisme.
Sa monumentale « Épopée slave » en vingt tableaux célèbre la contribution de ces populations à promouvoir le pacifisme. En 1928, l’ensemble est offert à la ville de Prague (Tchécoslovaquie, à l’époque) où la famille Mucha se réinstalle.

Mucha et Jaroslava posant pour l’affiche de Forest Phonofilm, Zbiroh c.1927. Tirage moderne, négatif original sur plaque de verre 24 x 18 cm. Fondation Mucha, Prague.
© Mucha Trust 2018

Quand les Allemands envahissent la Tchécoslovaquie en 1939, Mucha est arrêté et interrogé par la Gestapo. Libéré, sa santé se dégrade, il meurt le 14 juillet.
L’exposition met en valeur l’étendue de son travail depuis les dessins préparatoires. Le catalogue, superbement documenté et illustré (nombreuses pages en papier glacé hors pair), est placé sous le signe de l’œil comblé.
Le texte aux lettres dorées, harmonieusement disposé, bénéficie d’une mise en page de la masse typographique épousant les lignes du corps féminin.
Alphonse Mucha, jusqu’au 27 janvier 2019 au Musée du Luxembourg 19, rue de Vaugirard, à Paris. Catalogue broché avec une affiche pliée en jaquette autour de l’ouvrage, Réunion des musées nationaux - Grand Palais, 248 pages, 250 illustrations, 35 €.