Picasso, sculpteur moderne

par Albert LAMMERTYN
Publié le 29 décembre 2018 à 16:22 Mise à jour le 10 janvier 2019

Depuis sa réouverture après agrandissement, une des trois expositions phares en cours au musée La Piscine (Roubaix, Nord), Picasso : L’Homme au mouton propose notamment une lecture contextualisée d’une œuvre emblématique de l’histoire de la sculpture moderne.

P. Picasso, « Le Sculpteur », 7 décembre 1931. Huile sur contreplaqué. Paris, musée national Picasso, Paris.
© Succession Picasso 2018 - Photo © RMN-Grand Palais (Musée national Picasso-Paris) / Adrien Didierjean

L’exposition Picasso : L’Homme au mouton s’inscrit dans la réflexion que mène le musée roubaisien La Piscine sur la sculpture contemporaine. L’ambition d’une nouvelle lecture de l’histoire de l’art moderne est affichée. L’exposition associe aux créations de Pablo Picasso des œuvres d’autres artistes. L’importance de la sculpture dans son itinéraire de créateur est aussi illustrée par Le Sculpteur (1931), célèbre toile à laquelle est confrontée la Tête de l’homme au nez cassé d’Auguste Rodin.
En 1942, quand Picasso visite l’exposition du sculpteur allemand Arno Breker organisée à Paris conjointement par le gouvernement de Vichy et les nazis, c’est pour lui un choc qui aboutira à la création de son Homme au mouton. Ce n’est pas tout à fait comme si l’agneau était sorti de la cuisse de Breker mais l’exposition vichyssoise a provoqué dans le for créatif de Picasso un bouleversement, une fracture comme on le dit parfois en parlant de la trajectoire d’un artiste. Après ses recherches plus abstraites dans les années 1930 à Boisgeloup, son atelier normand, le contexte de l’Occupation, à laquelle Picasso résiste dans la solitude de son atelier, explique l’imaginaire de sa sculpture. Cette œuvre, conçue tel un monument destiné à l’espace public, s’affirmant à pied d’égalité avec les formats monumentaux de Breker, était promise à témoigner d’un engagement solide et fondamental. Le touche-à-tout espagnol réplique ainsi aux critiques de la presse collaborationniste de l’époque sur son rôle dans l’avènement d’un art moderne de référence.
D’autres artistes mais aussi l’art populaire sont convoqués pour souligner la place de la modernité dans l’élaboration du modèle de la sculpture de Picasso : le Saint Jean-Baptiste et le Balzac d’Auguste Rodin, le Serf d’Henri Matisse, un berger de crèche du XVIIIe siècle.

L’importance de l’art populaire

Pablo Picasso, « Villa La Galloise à Vallauris », Vallauris, 7 septembre 1952 Peinture sur papier Fundación Almine y Bernard Ruiz-Picasso para el Arte, Madrid
© Succession Picasso 2018 © FABA Photo : Marc Domage

L’exposition de La Piscine part de l’année 1906, quand Picasso, à Gósol (Catalogne, Espagne), découvre la sculpture populaire. « Dans le processus de sa création sculpturale, cette découverte est essentielle », observe le directeur du musée, Bruno Gaudichon, en l’occurrence commissaire de l’exposition. S’agissant de L’Homme au mouton, en effet « le jeu est évident entre l’art des bergers et la représentation d’un pâtre comme figure éternelle de la sculpture classique ».
Des photographies de Pierre Jahan évoquent la destruction massive, durant la guerre, de la statuaire de monument public (le métal était recyclé par l’occupant allemand). À côté de cette série photographique, une toile primordiale de cette période, L’Aubade (1943), insiste, avec la grille cubiste et la position allongée du personnage féminin central, sur cette question des sculptures abattues auxquelles répond précisément la figure très verticale de L’Homme au mouton. Une séquence plus littérale regroupe un riche ensemble de dessins préparatoires à la conception même de l’œuvre qui occupe Picasso pendant plusieurs mois. Pour finir, le travail présenté à La Piscine lie L’Homme au mouton à l’installation de Picasso à Vallauris, cité potière communiste. En 1950, la sculpture est implantée sur la place du Marché de la commune, tel un véritable monument public dédié à la paix, au moment où se profile la guerre de Corée. Cette période de paradoxes est évoquée par une grande toile de cette même année, Les Jeux, illustrant le bonheur familial de Picasso dans le Sud.

De nombreux prêts

L’exposition se conclut par la mise en scène des retours fréquents du motif de L’Homme au mouton, tant en art graphique qu’en volume, jusqu’à une ultime version en tôle, pliée et découpée, datant de 1961.
Via leurs prêts et/ou leur aide, les musées parisiens d’art moderne et Rodin, le musée Matisse du Cateau-Cambrésis (Nord) mais aussi le musée Picasso de Paris et le Museu Picasso de Barcelone (Espagne) ont leur part dans l’exposition roubaisienne, qui est présentée dans la nouvelle salle du site agrandi. Des collections privées françaises et étrangères viennent compléter ce travail collectif.

Picasso : L’Homme au mouton, jusqu’au 20 janvier à La Piscine, musée d’art et d’industrie André-Diligent, en partenariat avec le Musée Picasso de Paris. Prêts exceptionnels du Musée national d’art moderne (Paris). Commissariat Bruno Gaudichon. Scénographie Cédric Guerlus / Going Design.