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Vivre à ta lumière d’Abdellah Taïa

par ALPHONSE CUGIER
Publié le 14 avril 2022 à 20:52 Mise à jour le 15 avril 2022

Malika, née dans la campagne marocaine, veuve à vingt ans, échappe à la misère suite au mariage que lui propose Mohammed dans les années 1960. Le couple s’installe à Rabat et Malika donne naissance à neuf enfants. Comme son sort ne s’est guère amélioré, elle se projette dans la réussite de ses enfants. Promotion sociale qui se trouve rabaissée quand une Française veut prendre une de ses filles pour bonne : elle recourt à tous les moyens pour l’en empêcher. Portrait d’une mère mue par un « désir de revanche jusqu’à l’obsession ». Histoire d’une vie et d’un pays, trois moments des années 1950 à la mort d’Hassan II en 1999. Souffrance et colère mêlées, provoquées par un quotidien précaire et la soumission du peuple marocain à l’égard de son monarque. C’est Malika qui parle sans cesse, reprenant les paroles des proches, imaginant leurs pensées. Tissage de voix… miracle, cette fluidité de lecture qui persiste : phrases courtes qui se succèdent, tantôt précipitation cadencée, tantôt comme en suspension. Et l’auteur précise, « Malika, c’est ma mère : M’Barka Allali Taïa (1930-2010). Ce livre vient entièrement de toi ». Une sorte de mélange d’autobiographie décalée et de fiction. Malika, dure et poignante à la fois, attachée aux traditions, ne se rendant pas toujours compte des problèmes de ses enfants, d’Ahmed, homosexuel persécuté qui a émigré en France. Ce roman profondément ancré dans la société marocaine, s’il évoque les coutumes, légendes et croyances, n’oublie pas la situation politique, l’élimination de l’opposant Ben Barka en 1965, les lois imposées par les puissants, le protectorat qui pèse toujours.

Éditions du Seuil, 206 pages, 18 €.