Le Bestiaire d’Apollinaire et de Dufy

Dialogue de poèmes et de gravures

par ALPHONSE CUGIER
Publié le 10 mai 2019 à 16:07 Mise à jour le 16 mai 2019

Depuis l’aube des temps, l’animal n’a cessé de nourrir l’imaginaire de l’homme, jusqu’à devenir son miroir et son double, suscitant fables, allégories et questions sur le monde. Investi d’une charge symbolique, on lui a attribué des pouvoirs fabuleux, des vertus magiques, des influences bienfaisantes ou néfastes. Dans l’art médiéval, c’est le royaume du merveilleux et des monstres (licornes, dragons, chimères) qui prime.

En 1908, Guillaume Apollinaire publie un recueil de trente petits poèmes, quatrains et alexandrins, faisant de l’animal son confident : désir d’une vie paisible et rangée (le chat) ou sujette à la mélancolie (le hibou), art du poète à métamorphoser les choses (la chenille) ou à introduire un brin d’humour et de dérision (le paon).

Apollinaire sublime son recueil en remplaçant les mythes, légendes et traditions populaires par la figure d’Orphée, poète joueur de lyre qui a brisé la frontière entre la vie et la mort en allant chercher aux Enfers celle qu’il aime, Eurydice. Son pouvoir d’enchantement agit sur les hommes et les dieux, les animaux, les arbres et les rochers.

Le poids du noir, le don du blanc

Rimes riches et riches gravures, les poèmes sont indissociables des estampes qui les accompagnent. Apollinaire nous fait découvrir un Raoul Dufy qui n’est pas que le peintre des marines, orchestres, champs de course et dont la palette de couleurs se déploie en toute liberté. Pour ce Bestiaire ou le Cortège d’Orphée, Dufy choisit la gravure sur bois (planches gravées en creux au ciseau ou à la gouge) et sa sensibilité de coloriste, transposée dans le noir et le blanc, s’exprime en prodigieux effets de contrastes ou en combinaisons subtiles.

Si Dufy ne néglige pas le monochrome (l’éléphant et le cheval dans les premiers états de la gravure), le plus souvent, il s’épanouit avec des réserves de blanc au sein d’un noir profond et chaleureux. Ce qu’il creuse, profile autant le contour que la lumineuse présence, à la fois humble et majestueuse, de l’animal. Les gravures de Dufy ont souvent été proposées en petit format, illustrations rabougries, réduites à de la décoration ; publiées dans leur taille originelle (33 x 25 cm), elles retrouvent leur magnificence.