Hamnet de Maggie O’Farrell

Un roman du deuil et de la vie

par ALPHONSE CUGIER
Publié le 14 mai 2021 à 12:28 Mise à jour le 18 mai 2021

1596, la peste a touché l’Angleterre et la petite ville de Stratford-upon-Avon. Un jeune garçon, Hamnet, cherche de l’aide, sa sœur jumelle Judith est brûlante de fièvre et des bubons sont apparus en l’absence de leurs parents : Agnès leur mère est partie cueillir des plantes médicinales et leur père William Shakespeare (qui est rarement nommé sinon sous l’appellation de père, de mari) mène à Londres sa carrière d’acteur et de dramaturge. Après la récit de cette journée, le roman revient sur la rencontre des parents, narre l’histoire des jumeaux unis par une affection ineffaçable et celle d’Agnès, une femme libre d’esprit, ne se souciant guère des conventions et du voisinage qui la considère avec un certain respect mâtiné de prévention. Elle veille sur ses enfants mais devra affronter un drame qu’elle ne se pardonnera jamais, la mort d’Hamnet à l’âge de onze ans.

La mort et l’enfant éternel

Être confronté au scandale de la mort d’un enfant, parvenir à donner un sens à son existence alors que tout un vécu a basculé d’un coup dans le néant. Le poids de la culpabilité, le refus de l’oubli... Tenter de colmater la déchirure tout en laissant prise à la douleur. Croire et se persuader que le drame n’a pas eu lieu, rassembler ce que la vie a très tôt brisé. Hamnet est à la fois le portrait d’un garçon oublié par l’Histoire et d’une femme forte, sensible, dont l’intime est scruté avec des mots marchant à vif. Ceux-ci relevant du tragique renvoient à leurs contraires, ceux des temps heureux, une incomparable floraison mariant tous les sens, offrandes au regard, à l’écoute, à l’odorat... les saveurs de la nature, du jardinage, des choses de l’atelier du grand-père gantier, de la cuisine et de la lessive, des riens immenses nés d’un trait de plume. Une question taraude : pourquoi son époux a-t-il donné le nom de son fils mort à une de ses pièces (les prénoms Hamnet et Hamlet étant interchangeables) ? Au théâtre, c’est le père qui meurt empoisonné et le fils qui vit. Est-ce une manière de ressusciter l’enfant victime du poison de la peste et que Shakespeare n’a pas pu sauver ? Hamlet serait une sorte de tombeau, de mausolée littéraire : vaincre le traumatisme par l’écriture et la représentation théâtrale. L’absolu pouvoir de la littérature et sa grandeur tragique qui sauve (Shakespeare) et un talent souverain pour rendre le poétique et le poignant (Maggie O’Farrell).

Hamnet de Maggie O’Farrell, éditions Belfond, 360 pages, 22,50 €.