Les chefs-d’œuvre de Topor

Troublants et obsédants

par ALPHONSE CUGIER
Publié le 25 octobre 2019 à 17:30

En 2017, la Bibliothèque nationale de France a consacré une exposition rétrospective à Roland Topor (1938-1997) considéré comme l’un des plus grands dessinateurs du XXème siècle. Créateur insatiable, polymorphe, il est tout à la fois romancier, poète, dramaturge, cinéaste, affichiste, auteur de chansons, créateur de costumes, de décors de théâtre et de mise en images de textes d’auteurs (Boris Vian, George Sand, Tolstoï, les surréalistes). Il met son crayon au service d’un imaginaire débridé.

Corrosif, hors limite, il bouscule ce que nous croyons être notre rassurante quotidienneté, abolit l’assoupissante fixité des choses, fait rendre gorge à l’inavouable et nous met face à des tranches de vie déterrées sur les terrains freudiens pour conjurer sa souffrance au monde. Corps harcelés et abîmés, tourments provoqués par le désir, questions posées contre la mort... Il n’hésite pas à faire fonctionner l’excès jusqu’à l’absurde et le scatologique, revisitant sans cesse cauchemars et hallucinations.

Casser les images toutes faites

Les Cahiers Dessinés qui ont déjà fait paraître Topor Dessinateur de presse ,Topor Voyageur du livre et Le Monde selon Topor continuent de le célébrer en présentant ses dessins les plus accomplis qui sont aussi les plus intemporels. Un quidam muni de valises, les pieds entravés, attachés à un piquet, se tient devant un large ruban déroulant un paysage : est-ce ainsi que les hommes vivent ? Une rue déserte en enfilade, de part et d’autre une rangée de maisons dont chaque fenêtre s’apparente aux sabords, ces ouvertures dans le flanc d’un voilier par où passent les fûts des canons : est-ce un monde habitable ? Toutes ses œuvres en disent long sur la solitude et le désespoir et ne nous laissent aucune échappatoire. Sa noirceur, il en fait une lumière pour les autres et un peu pour lui.

Ce mode de figuration onirique qui relève de l’hybridation et de la transmutation repose sur un travail de hachures et leurs dégradés. Il peut ainsi poser les masses sans devoir toujours préciser les contours. Cette technique octroie aux dessins un climat particulier, un fini réaliste et riche en profondeur renforçant sa puissance d’impact. Un formidable maelström de coups de poings. Un premier volume qui ne nous fait pas de cadeau.