Éditions Denoël, collection Sueurs froides, traduit par Frédéric Brument, 256 pages, 21 €
Les chiens de paille de Gordon Williams

Chasse à l’homme

par ALPHONSE CUGIER
Publié le 9 décembre 2022 à 13:57

George Madruger, un Américain, professeur de littérature, vient séjourner en Angleterre, dans une ferme isolée de Cornouailles, pour terminer la rédaction d’un essai sur Branksheer, un mémorialiste anglais de la fin du 18e siècle. Son épouse native du lieu et sa fille l’accompagnent. Pourtant il ne parvient pas à s’habituer à cette vie nouvelle, il se sent mal à l’aise face aux gens du coin qui détestent au plus haut point ce yankee, ce citadin, cet intrus trop hautain, trop plein d’assurance à leurs yeux. L’atmosphère est lourde, mépris, hostilité et agressivité latents. La tension s’accentue dans cette région sauvage enneigée, lorsque Henry Niles, un assassin d’enfants s’échappe de l’ambulance qui le ramenait en prison et qu’une fillette disparaît au cours d’une fête donnée aux enfants pour Noël. Dans l’affolement et la précipitation, les recherches sont lancées, entravées par un vent glacial, une tempête de neige et des congères. Un jour, George renverse accidentellement un homme qu’il conduit chez lui pour le soigner. Mais l’homme est le criminel que les villageois enragés traquent pour le mettre à mort. Lorsqu’ils apprennent que Niles s’y cache, la ferme est assaillie de toutes parts…

L’épicentre de l’angoisse : un style à cran d’arrêt

Une sorte de huis clos glaçant s’installe. Ce roman publié en 1969 et que Sam Peckinpah a adapté au cinéma en 1971 avec Dustin Hoffman bénéficie d’une nouvelle traduction, d’une langue précise, axée sur un naturalisme débridé hérissé de pointes d’angoisse, d’effroi et d’horreur, qui refuse toute ornementation et va droit au but. Les problèmes qu’il posait restent d’actualité. Pulsions d’un homme pourchassé, pulsions d’une meute… Une dialectique pénétrante se joue entre l’un et le clan, en particulier les cinq villageois avinés, dévorés par un déchaînement de fureur que l’auteur aborde de front. Dans quelle mesure un homme non violent que les événements vont rendre violent et agressif peut-il être prêt à tout pour défendre son territoire, sa vie et celles de son épouse et de leur fille ? Parvenir à ce point de déshumanisation en laissant éclater une sauvagerie extrême et ce, dans une joie quasi sadique de pouvoir tenir tête aux assaillants. Un des vernis de la civilisation vient de sauter. L’homme n’est-il dans certaines circonstances qu’un animal de plus ?