El Gordo de Xavier Mauméjean

La guerre d‘Espagne vue par deux enfants

par Jean-Jacques Potaux
Publié le 16 décembre 2022 à 10:43

La chance sourit aux audacieux et, quand ils sont amoureux, ce n’en est que mieux. C’est le cas de William, un jeune anglais de douze ans, épris de la rousse Mary. Chanceux, il s’est emparé d’un billet de loterie gagnant acheté par le père de sa dulcinée qui est mort accidentellement. Un beau cadeau à offrir à la belle. Seul problème et non des moindres, le billet a été acheté à Madrid et c’est là qu’il faut l’encaisser. Il faut donc qu’il se rende en Espagne. Mais plus grave, cela se passe en 1936 pendant la guerre civile et traverser l’Espagne de Gibraltar à Madrid et en repartir relèvent de l’opération impossible. L’impossible, pourtant, va se réaliser.

Tout d’abord, parce qu’un récit dans lequel le héros doit encaisser un billet de loterie se termine toujours bien quelles que soient les difficultés ; ensuite, parce que les personnages de Xavier Mauméjean ne sont pas ce qu’on leur dit qu’ils sont mais ce qu’ils veulent être quitte à en payer le prix. Le personnage connaît une crise que le roman permet de dénouer et devient autre. Nous ne suivons donc pas seulement l’écriture d’une aventure mais l’aventure d’une écriture. Le romancier, adepte du réalisme magique, parvient à nous faire croire à l’impossible et, grâce à un humour constant, nous incite à nous moquer de nous-mêmes, grands enfants toujours prêts à nous identifier au jeune William et à son compagnon Passe- montagne, ainsi nommé parce qu’on ne voit que ses yeux.

El Gordo est en effet un récit picaresque dans lequel le romancier a construit ses deux personnages en s’inspirant de Don Quichotte et de Sancho Pança, mêlant l’épique au burlesque. La réussite du livre réside dans l’alliance du réalisme historique et du réalisme magique. L’histoire est toujours présente, décrite avec une extraordinaire précision. Mais c’est d’une histoire subjective qu’il s’agit, vue par un narrateur qui adopte le point de vue des deux jeunes personnages. Pas question de prendre parti. L’auteur, d’origine espagnole, avait des membres de sa famille dans les deux camps et les anges qui suivent et protègent deux enfants ont des comportements contradictoires avec leurs options idéologiques. C’est le cas de Talia, la tueuse sadique, femme amorale qui agit en fonction d’une éthique personnelle et du snipper aveugle.

Ces personnages agissent sans raison apparente, comme les Dieux dans la tragédie grecque. Le fauthentique cher au romancier fonctionne parfaitement. Le réalisme est si fort, les détails si précis que le lecteur se laisse prendre. Ainsi William s’est construit un curieux engin : « l’engin, à multiusages, se composait d’un trombone, d’un élastique et d’un allez savoir quoi. Sur sa conception, l’inventeur restait vague et n’en parlait qu’à sa mère qui l’avait baptisé Mecanissimo (…)  ». Grâce à cet engin, le personnage va pouvoir réparer un char. Le lecteur, pris par la précision du récit et par l’humour sourit, se faisant complice du narrateur. Nous assistons même à une rencontre entre Lorca qui se trouvait à New York en 1925 et Evola, penseur italien influencé par Nietzsche que l’auteur y envoie alors qu’il n’y était pas. « Je pense que tout roman est l’histoire d’un avant et d’un après, une expression qui va façonner la représentation de la réalité du héros mais aussi du lecteur » déclarait le romancier à France culture. On ne saurait mieux dire.