Éditions Tanibis, 200 pages, 20 x 26 cm, cartonné, 25 €
La dernière comédie de Paolo Pinocchio de Lucas Varela

Pics épiques de moult époques

par ALPHONSE CUGIER
Publié le 29 juillet 2022 à 15:18

Pinocchio, le célébrissime conte de Carlo Collodi, est revisité pour la seconde fois par un Lucas Varela qui nous entraîne dans un fumet d’intrigues changeant de registre à l’envi, naviguant entre facéties et tragédies. Aventures rocambolesques au long cours bousculant la chronologie, flagrants délires passant d’un monde à l’autre, s’offrant de réjouissants ou horrifiques détours par les temps bibliques, la mythologie grecque, la commedia dell’arte, l’Enfer de Dante, le paradis à tombeau ouvert d’une joyeuse exubérance du Jardin des Délices de Jérôme Bosch, sans omettre la Venise de Casanova dont les masques s’affichent en écho dans notre présent covidien. Cette nouvelle mouture en apparence totalement foutraque commence chez un Zeus olympien ou chez le Tout-Puissant, Dieu pourvu de son auréole triangulaire, quelque peu déçu par la comédie du monde qui ne se renouvelle guère. Une muse qui a perdu la faveur dont elle jouissait cède son sceau d’inspiration à un marionnettiste dramaturge. Comme le bâton magique ressemble drôlement à l’appendice nasal d’un pantin célèbre, la muse a trouvé le moyen de le cacher. Notre « Pinocchio » métamorphosé en être vivant par la fée bleue, se rend à Venise en quête d’un diamant bleu byzantin qui doit lui apporter la notoriété. Mais comme dans tout conte, le parcours est émaillé d’embûches. D’autres protagonistes lorgnent sur le joyau, talisman qui éloigne menaces et sortilèges malfaisants. Dès lors, se succèdent une cascade de péripéties, course-poursuite, effraction, rebondissements fantasques.

Le loufoque intelligent et iconoclaste

Notre loustic rompu en filouteries que lui octroie l’auteur en profite pour interroger le grand mensonge, celui de la Création qui a éclipsé le Big Bang, démasquer les bassesses, les ignominies dissimulées ou déguisées et remettre en question les « vertus » de l’ordre établi, étayé par un ensemble de règles et de situations qui se perpétuent. C’est ainsi qu’une « élite » protégée, les oiseaux favoris du Tout-Puissant, volatiles vaniteux, dévorent le menu fretin, classe prolétaire, poissons fatigués de rester confinés dans l’eau et qui ont des envies de rébellion.

Un cocktail détonant, solde de tout conte

Ce roman graphique, véritable mille-feuille délicieusement farci de métaphores, touche à la religion, au social et au politique. Il est de surcroît emballé dans un style virevoltant, alliant le tempo trépidant des comics et l’élégance du dessin à la ligne claire. Au noir et blanc, Lucas Varela associe une palette limitée aux nuances subtiles rouge tendre et rose, bleu et bleu gris. Un régal garanti dans toutes les planches dont certaines cases sont réservées à un texte qui, remplaçant les bulles des bandes dessinées, favorise le déploiement du récit et accélère l’action. Cette épopée très sérieuse sous son enrobement extravagant est plus que surprenante : attendez-vous à l’inattendu.