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Samira El Ayachi à Lewarde ce dimanche 5 décembre

Une ode à l’indocilité

par JACQUES KMIECIAK
Publié le 13 décembre 2021 à 11:49

Dans Le Ventre des hommes (1), Samira El Ayachi nous plonge, d’une plume alerte, dans les années 1970 au cœur d’un Bassin minier à l’agonie. L’écrivaine sera à Lewarde ce dimanche (2).

Fruit d’une lente maturation, ce récit à caractère hautement autobiographique, est avant tout celui d’une histoire d’amour entre Mohamed Katib et sa fille Hannah, l’héroïne, qui, adulte, revisite l’histoire familiale. En 1974, Mohamed quitte le sud du Maroc pour le Pas-de-Calais et ses mines. Ici, la fin de l’exploitation charbonnière est à l’ordre du jour. Confrontées au peu d’engouement que suscite un métier jugé dangereux et pénible, les Houillères recrutent en Afrique du Nord une main-d’œuvre qu’elles imaginent docile. Au mépris du statut des mineurs, des contrats à durée déterminée de 18 mois sont octroyés à ces 78 000 paysans assimilés à des kleenex taillables, corvéables et surtout jetables à merci. « Dans mon entourage, on n’en parlait peu. Comme s’il s’agissait d’un sujet douloureux que tout le monde voulait laisser derrière soi. J’avais l’intuition que cette histoire devait être éclaircie. J’avais une part d’héritage à récupérer », souffle Samira soucieuse de lever le voile sur ce passé occulté.

Un mépris de l’intelligence

Embauchés à la seule fin d’accompagner au moindre coût l’arrêt définitif de l’extraction, ces travailleurs ultra précarisés « étaient la variable d’ajustement d’une économie en récession. Les Houillères se sont contentées d’aller chercher des bras, au mépris de l’intelligence. Des projets de vie ont été niés. Il s’agit d’un scandale d’une violence inouïe », s’indigne-t-elle. Ces travailleurs « avaient cependant le sens du collectif, de la parole donnée ». Cette conscience de classe « s’affirmera au frottement d’un Bassin minier où la culture syndicale est forte et le PCF puissant. Par la grève en 1980 pour l’obtention du Statut des mineurs, puis en 1987, Ils investiront l’espace public et défendront leurs droits avec les... outils de la République. Ils porteront ainsi les valeurs de ce pays en renvoyant l’État à ses propres manquements ».

Cette France qui résiste

Trente ans plus tard, dans la foulée des attentats islamistes de novembre 2015, Hannah devenue enseignante, commettra « un acte par nostalgie du combat collectif avant d’être réduite à des considérations racistes et de prendre en pleine tête la violence que son père avait déjà subie ». En « réveillant cette part d’indocilité » qui sommeille en chacun de nous, Samira rend hommage, comme Jean Ferrat avant elle, à cette France qui résiste et « qui rend finalement service à la démocratie en refusant d’obéir ». Une façon de saluer le courage de ces « hommes qui en avaient dans le ventre »...