L’Art et le nombre de Robert Bared

Riches heures en nombre et en art

par ALPHONSE CUGIER
Publié le 28 mai 2021 à 15:53 Mise à jour le 31 mai 2021

1, 2, 3... 9 ne sont pas exclusivement les instruments de mesure ou de calcul du géomètre, du comptable, du mathématicien, en général de l’homme de science. Ils sont aussi supports d’élection aux élaborations symboliques, magiques et, pour ce qui nous intéresse, avoir la parole en art. Toute œuvre d’art est fondée sur des proportions (il suffit de penser au « nombre d’or », ce rapport d’un dynamisme équilibré), l’esthétique reposant sur des quantités spatiales et sur une harmonie des formes (cette « proportion dorée » peut exploser chez certains artistes).

Le nombre a la parole

Tout personnage, tout objet, tout motif est susceptible d’être représenté au singulier ou au pluriel. Qu’apporte le passage de l’unité au multiple ? De la notion de quantité on passe à celles d’idées et de forces. Devant chaque œuvre qui décline une représentation démultipliée d’une figure, d’un motif et qui attire le regard, suscite la curiosité, le spectateur n’en finit pas de se plonger dans des interrogations en cascade, d’intensifier les hypothèses. Des « machines » à réfléchir avec leur polyvalence de lectures et de sens. L’essai de Robert Bared, sans vouloir être exhaustif (est-ce possible ?), dévoile l’abondance de productions régies par le nombre des éléments qu’elles comportent. Si le 1 est symbole unificateur, le 2 est celui d’opposition, de réciprocité mais aussi de gémellité tout en relevant du domaine du dédoublement, des ambivalences et du bipolaire. Et ainsi de suite, chaque nombre tendant à engendrer le nombre supérieur. Quelques exemples parmi ceux retenus suffisent à montrer que la centaine d’œuvres analysées forme un ensemble passionnant et éclairant. L’auteur qui passe du détail à l’ensemble et inversement s’est muni de ce que l’érudition peut alléguer comme repères, comme explications.

La vertu d’excellence

Prenons le 3. Les Trois Parques, huile sur bois de Salviati, 1550. De la vie à la mort : trois vieilles femmes fileuses « traitées en grisaille comme en conformité avec le sort de leurs humaines victimes. Clotho tient la quenouille, Lachésis déroule le fil et Atropos le coupe à point nommé ». Quant aux Trois Sorcières, huile sur toile de Füssli, 1783 (la couverture de l’ouvrage), elles « viennent annoncer son destin à Macbeth, au début de la tragédie de Shakespeare... sœurs fatidiques, main dans la main, ferment de leur puissance ». Le cinéma est aussi de la partie avec Jules et Jim de François Truffaut, 1962 : Henri Serre, Oskar Werner et Jeanne Moreau, 2 + 1 (une déguisée en homme), « délicatesse de la liaison triangulaire, où chacun se nourrit du regard reliant les deux autres... jusqu’à l’issue fatale ». Robert Bared n’oublie pas la littérature, évoque la tragédie racinienne, le trio de boulevard (Georges Feydeau, Sacha Guitry) en « passant par le libertinage amusé d’un La Fontaine moraliste (Deux coqs vivaient en paix, une poule survint. Et voilà la guerre allumée) ». Cent quatre dessins, tableaux, enluminures, sculptures, céramiques, photographies, photogrammes de films, bâtiments dans lesquels interviennent 1, 2, 3... 9 éléments ou sujets, constituent une bien belle approche, chaque œuvre étant resituée dans son contexte historique et artistique. Cet essai qui varie les focales, dévoile des « secrets », les approche avec intelligence et simplicité, plume savante et accessible et nous aide à regarder avec davantage d’acuité des œuvres pourtant souvent contemplées et dont on apprécie la qualité des reproductions.