Tourcoing

Youssef Nabil à L’Institut du monde arabe

par Alphonse Cugier
Publié le 20 décembre 2019 à 14:59

Né au Caire en 1972, Youssef Nabil, ne pouvant supporter le retour du puritanisme et un enfermement stérilisant, quitte l’Égypte en 2003 pour vivre entre New York et Paris.

Le sentiment de l’exil

L’épreuve de l’expatriation est la dimension primordiale de son travail constamment irrigué par la nostalgie d’une époque tolérante, matrice originelle, espace de passé fortifié. Ses autoportraits s’inscrivent pleinement dans cette manière de penser. À Los Angeles, il est couché au sein d’un lacis d’énormes racines à fleur de terre, métaphore d’une terre matricielle rêvée.

Dans la vidéo « You never left » , il (Tahar Rahim) avance, muni d’une valise, dans un paysage de dunes. Une femme (Fanny Ardant) le suit, le rejoint. Mère, maîtresse ou ange gardien souhaité qui lui demande de ne pas partir ? Dans une série de clichés, tournant le dos à l’objectif, il regarde des endroits de Paris, Istanbul, New York, Marseille... journal intime de son itinérance, de ses déplacements pour des expositions, lieux qui jamais ne seront siens définitivement. Néanmoins chacune des photos transforme ces instants en durée : pure contemplation.

La remembrance nostalgique imprègne sa démarche. Il apprend auprès de retoucheurs âgés la technique de la colorisation à la main de photos réalisées en noir et blanc. L’art du portrait exigeant, une mise en scène soignée, il agit comme un plasticien, n’hésitant pas à recourir à une esthétique glamour sophistiquée dont l’éclat rappelle les affiches des films placardées sur les murs et encore peintes à la main dans les années 1950.

La couleur en majesté

Le cinéma égyptien de cette époque est à ses yeux l’emblème d’un âge d’or, d’une Égypte îlot de liberté et de modernité. Égypte quelque peu fantasmée qui se traduit par des photos extrêmement colorisées : « Nathacha fume le narguilé  », « Natacha en odalisque » et « Sweet Temptation » (deux jeunes femmes proches l’une de l’autre).

Rejetant toute notion et revendication d’identité, ainsi que les débats sans cesse repris qu’elles suscitent, il franchit toutes les frontières spatiales et temporelles : Catherine Deneuve apparaît en Madone de la Renaissance, une partie de sa chevelure recouverte d’une mantille, voile noir qui n’a rien de religieux.

« Arabian Happy Ending » est un montage de baisers de cinéma débités à cadence folle. Effusion, profusion, orgie romanesque, idylle foldingue, rafle toutes catégories confondues (tendres, sensuels, dévorants, bécots à la volée...). Il y a là une manière de chef d’œuvre qui flirte avec la perfection dans la délectation et du burlesque en raison de l’accumulation. Dans la vidéo « I Saved My Belly Dancer  », alors que Tahar Rahim dort sur une plage, l’Égypte des années 1950 surgit en rêve sous les traits de Salma Hayek, sublime danseuse baladi (dite en Occident sous la formule lascive de danse du ventre). Sable jaune, djellaba bleu ciel, mer turquoise, robe rouge, voile rose mauve, seins et sexe habillés d’or : nature et monde intérieur se marient avec un lyrisme sensuel dans la polychromie et les rythmes d’une chorégraphie traditionnelle qui n’est nullement une danse de séduction.

Pied de nez aux tartuffes

Mouvements ondoyants des hanches, des bras et du voile, autant de spirales, formes du devenir vivant : hommage à la femme libre de jouir de son corps... En rêve, Youssef Nabil-Tahar Rahim l’enlève sur son cheval dans le paysage des westerns de John Ford où il vit désormais : danseuse retrouvée et sauvée alors que la plupart ont été jetées en prison par des régimes rétrogrades, censure politique et normes religieuses en vigueur.