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L’autre Coupe du monde

par ANDRE CICCODICOLA
Publié le 28 novembre 2022 à 16:05

L’heure est aux trophées. L’équipe de France de Football tentera d’accrocher une troisième étoile à son maillot tricolore. En revanche, le Qatar et la FIFA de Gianni Infantino ont déjà été gratifiés de la coupe des bâtisseurs et des promoteurs de spectacle footballistique à but lucratif les plus meurtriers du siècle débutant. L’émir du Qatar doit cette récompense à la mort sur ses chantiers du Mondial de foot, de 6000 travailleurs immigrés, littéralement réduits à l’état d’esclaves. La direction de la FIFA, partage logiquement la même récompense pour avoir vendu la coupe du monde de foot à l’émirat, puis couvert les faits tragiques malgré les incessantes alertes et les injonctions de l’OIT (Organisation internationale du travail) et de nombreuses ONG. Cette distinction souveraine mettait évidemment les deux complices hors concours dans la course au titre de pires patrons de l’année décerné par la Confédération syndicale internationale. A son palmarès figurent déjà Jeff Bezos patron d’Amazon ou encore Michael O’Leary, directeur général du transporteur aérien Ryanair. Ils se distinguent par leur acharnement à empêcher les travailleurs de se syndiquer.

La méthode est efficace puisqu’elle leur a permis d’imposer des conditions de travail et de rémunération criminelles, devenant multimilliardaires en un temps record. Cette année la palme syndicale du pire patron est revenue à Peter Hebblethwaite, directeur général de la compagnie de ferries P&O qui relie notamment Calais à Douvres en Angleterre. Il doit cette sacralisation à la manière express dont il a licencié 800 salariés. Le 17 mars dernier, faisant fi des règles et des lois sociales en vigueur en Grande-Bretagne, Peter Hebblethwaite a convoqué les 3 000 employés de la compagnie à une visio-conférence. Il leur a déclaré «  votre dernier jour, c’est aujourd’hui, vous allez recevoir les détails (de vos licenciements) par mail, gardez un œil sur votre boite  ». Sidérés les employés embarqués ont refusé de quitter les navires.Peter Hebblethwaite a envoyé des commandos de gros bras cagoulés pour les déloger. Cette sale besogne exécutée, il a immédiatement remplacé les travailleurs licenciés par des marins colombiens engagés à Dubaï où logent une partie des actionnaires du groupe. Les embauchés seront payés 7,40 euros de l’heure, alors que le salaire minimum britannique est de 10,30 euros.

Résultat, la masse salariale a été réduite de moitié et un bénéfice record a été dégagé quelques mois plus tard. Bingo pour les actionnaires et re-bingo pour Peter Hebblethwaite dont le salaire de base est de 377 000 euros et qui sera multiplié par quatre ou cinq grâce aux bonus indexés sur la profitabilité. Dans les milieux patronaux, on reconnaît que cette «  blitzkrieg  » menée contre les salariés et ses résultats financiers méritait un super coup de chapeau, fusse à travers le titre de « pire patron  ». Cependant, la consécration de Peter Hebblethwaite pourrait être rapidement contestée. Deux prétendants sont en effet en droit de faire valoir de tels états de service, Elon Musk et Mark Zuckerberg. Le premier vient d’acheter Tweeter pour 44 milliards d’euros et a aussitôt licencié la moitie des 7 000 salariés via un tweet pour accroître encore ses bénéfices (qui ont déjà atteint 221 millions en 2021). Le second, Mark Zuckerberg, patron de Meta Facebook, a fait en 2021 un bénéfice en progression de 35% sur l’année précédente, établissant désormais sa fortune personnelle à 97 milliards d’euros. Pour booster plus encore cette machine à cash, il vient de mettre au tapis 11 000 travailleurs. A charge pour les salariés restants, chez Zuckerberg comme chez Musk, de faire tourner mieux encore les entreprises comme leur ont élégamment réclamé les deux compères dont notre président ne cesse de louer les compétences.

Qui sait, si un jour, ces travailleurs, mus par un désir irrépressible de liberté et de dignité, ne feraient pas la réponse du berger à la bergère à ces féodaux nouveaux en les expropriant ?