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La Redoute : Radioscopie d’une entreprise qui renaît de ses cendres

par Nadia DAKI
Publié le 6 mars 2023 à 15:37

En 2013, La Redoute traversait sans doute la pire crise de son existence. Dix ans plus tard, l’entreprise vaut un milliard d’euros et certains de ses salariés ont touché un petit pécule.

Les salariés de La Redoute, qui ont pris des parts en 2014, ont eu un retour sur investissement non négligeable. Pour 100 euros investis, le chèque reçu s’élève à 100 000 euros. Mais, le bilan se veut plus nuancé. « Tout n’est pas aussi blanc, met en garde Smaïl Bella, délégué syndical CGT. Tant mieux pour les salariés qui ont pu en profiter mais ceux arrivés à partir de 2015 ont été écartés du dispositif. Et ce sont les 50 cadres dirigeants qui ont raflé la plus grosse part du gâteau. Certains sont devenus millionnaires. »

Un pari fou qui se révèle payant

Un an avant l’ouverture du capital aux salariés, l’entreprise est au bord de la faillite. PPR (Pinault-Printemps-Redoute), le groupe propriétaire rebaptisé Kering, souhaite alors se séparer de la société qui perd des millions d’euros chaque année. L’ex-leader de la vente par correspondance enchaîne alors les plans sociaux. En 2006, 700 emplois sont supprimés. En 2013, c’est une saignée d’envergure : 1 178 emplois supprimés, soit le tiers de l’effectif. Nathalie Balla et Éric Courteille, deux ex-dirigeants, reprennent alors la maison pour un euro symbolique et propose aux salariés de souscrire des parts pour sauver l’entreprise. « Après de longues batailles, nous avons réussi à contraindre Kering à verser près de 500 millions d’euros au PSE, rappelle le syndicaliste CGT. En 2014, l’entreprise ne valait rien. Si, aujourd’hui, elle vaut près d’un milliard d’euros, c’est grâce aux salariés qui créent cette richesse. » Ce déblocage de capitaux est dû au rachat, fin 2022, de La Redoute par les Galeries Lafayette, entrées au capital à hauteur de 51 % en 2018 pour finalement détenir toutes les parts trois ans plus tard. Car La Redoute a plutôt bien traversé la crise sanitaire. L’arrivée du Covid et la fermeture des magasins ont dopé ses ventes. À l’heure où bon nombre d’enseignes du commerce cessent leurs activités les unes après les autres, La Redoute, tel un phénix, déploie ses ailes et entame un vaste plan d’internationalisation. Mais elle doit faire face à une inquiétude de taille : leur actionnaire principal traverse une crise sans précédent. Les Galeries Lafayette appartenant à Michel Ohayon, propriétaire de feu Camaïeu, et de Go Sport et Gap, se trouvent aujourd’hui en difficulté.

14 millions et 50 000 Respectivement le nombre d’exemplaires et de références dans le catalogue des années 50 2016 Fin de son mythique catalogue 15 000 C’est le nombre de commandes par jour que traite aujourd’hui La Redoute via son site internet

Témoignages

Maryse Allardy, retraitée

« Quand je suis partie de La Redoute, j’en avais les larmes aux yeux »

Je suis entrée à La Redoute en février 1972. J’ai commencé au service “rédaction-archives”, on répondait aux clients. Six mois plus tard, mon contrat se terminait et j’ai rejoint le service réception à Wattrelos. J’y suis restée trois ans, puis direction la centrale d’achat où je suis restée 32 ans. C’était une entreprise familiale, on travaillait beaucoup mais dans la bonne ambiance. On avait toujours le sourire et les patrons avaient toujours un bon mot pour nous. En 2009, La Redoute n’allait pas très bien, j’arrivais en fin de carrière et j’ai demandé à partir. J’ai eu mal au coeur, j’en ai pleuré. Je quittais des copines de 40 ans.

Georges Dubois, président de l’association des Amis de la Lainière et du textile

« Les ventes n’écoulaient pas la production »

J’habitais dans le quartier de La Redoute et je connaissais beaucoup de monde qui y travaillait. D’ailleurs, on reconnaissait ceux qui étaient à La Redoute car ils chômaient deux mois par an, les ventes n’écoulaient pas la production. La Redoute a été bâtie sur l’ancien site de la Lainière. Il y avait notamment une salle de coupe où les fibres synthétiques arrivaient. Les 40 craqueuses tournaient à plein régime. Ces machines préparaient le fil. Par l’intermédiaire d’un ancien de l’usine, nous avons pu récupérer un film inédit datant des années 50 qui retrace l’épopée de la vente par correspondance à La Redoute et met en lumière le parcours de la famille Pollet.

Il était une fois la Redoute

De son catalogue emblématique, à la figure non moins emblématique de la famille Pollet, fondatrice de la société, histoire condensée du leader de la vente par correspondance.

Depuis 1837, La Redoute fait partie du paysage et de l’histoire du Nord et plus particulièrement de Roubaix. Avec les trois frères Pollet aux manettes, l’entreprise se développe. Le génie de la société se fait très vite sentir avec la vente par correspondance. Elle commence d’ailleurs par poster des petites annonces dans le journal local. Elle n’est pas la seule sur le créneau, ni la première d’ailleurs. Dès 1920, sa voisine la Blancheporte, à Tourcoing, commercialise ses draps de lit par correspondance. Les filatures de La Redoute lui emboîtent le pas et vendent en 1924 près de cinq tonnes de pelotes de laine... par jour ! Une dizaine d’années plus tard, c’est au tour de son concurrent direct, les 3 Suisses de se mettre à vendre directement aux clients.

Avant-gardiste et précurseur

Mais La Redoute va se démarquer nettement avec l’instauration de son désormais mythique catalogue. Le premier, publié en 1928, contient 16 pages et présente une quarantaine d’articles de tricot. Il rencontre très vite un vif succès et envahit le foyer des familles. Il continue de grossir pour atteindre 124 pages dans les années 40 et le choix des produits proposés s’étoffe. Toujours pionnière en matière d’innovation, elle s’équipe dès les années 60 en ordinateurs et est l’une des premières à assurer une livraison en 48 heures puis en 24 heures grâce à son propre service d’acheminement et de livraison. Elle met aussi en place des lignes téléphoniques dédiées à la prise de commande. Pourtant, elle passera complètement à côté de l’émergence du e-commerce dans les années 2000.

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Nord