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Roubaix

La rénovation de l’Alma-Gare échappera-t-elle à ses habitants ?

par Mack Salman
Publié le 16 juin 2023 à 14:58

Un grand plan d’aménagement urbain, validé en 2020, veut dédensifier et réhabiliter le quartier de l’Alma, à Roubaix. Mais un collectif d’habitants se dresse aujourd’hui contre ce projet car ils jugent qu’ils n’y pas eu de consultations.

Le schéma est voué à se répéter, encore et encore. En 1978 déjà, un collectif, appelé l’Atelier populaire d’urbanisme, militait contre un plan de rénovation du quartier de l’Alma-Gare, voué à la démolition au profit d’immeubles HLM. C’était alors les prémices d’une nouvelle forme de réhabilitation de quartiers déclarés comme vétustes car, grâce à leur lutte, les habitants ont pu participer au plan de rénovation aux côtés des bailleurs et de la municipalité. La mairie de Roubaix a engagé, depuis bientôt une dizaine d’années, son Nouveau programme de renouvellement urbain (NPRU). Quatre quartiers sont concernés : l’Alma-Gare au nord, l’Épeule à l’ouest et les Trois-Ponts et la Pile à l’est. Ce projet de grande envergure va concerner une très grosse partie des 98 994 habitants de la ville. Au total, 1 297 logements doivent être démolis, 1 760 familles doivent être relogés, et 755 réhabilitations sont prévus pour seulement 185 ogements neufs construits.

Sur le site de la Métropole européenne de Lille (MEL), qui est partie prenante du projet, il est expliqué que les « démolitions de logements locatifs sociaux devenus inadaptés contribueront à dédensifier et à aérer le quartier ». Les enjeux, affichés, sont de « désenclaver » l’Alma afin de mieux le connecté au reste de la ville, de renouveler l’offre résidentielle, de faire le lien avec les entreprises locales ou encore de changer, avec les habitants, l’image de ces quartiers. Et tout cela pour un coût de 133 millions d’euros, dont la moitié sera financé par la MEL, grâce la subvention de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) à hauteur de 77 millions d’euros.

En décembre dernier, un reportage de F rance 3 Hauts-de-France mettait en lumière la vétusté de certains appartements. En plein hiver, des habitants de logements sociaux, concernés par le plan de rénovation, se sont retrouvés sans eau chaude ni chauffage pendant plusieurs mois. Des pièces au plafond noirci de moisissures, des sols craquelés ou des fuites d’eau régulières font partie de leur quotidien. Une situation qui donnait un sentiment d’abandon volontaire pour organiser la gentrification du quartier. Situé entre le nouvel éco-quartier de l’Union, les enseignes industrielles comme l’incubateur d’entreprises EuraTechnologies Blanchemaille, et l’École supérieure d’arts appliqués et textile, l’Alma dérange. Certains locaux parlent même d’un « grand remplacement » des classes populaires par des populations plus aisées et ne se sentent pas écoutés.

En effet, les habitants ont été peu, voire pas du tout consultés lors de la mise en place du projet de réaménagement du quartier, alors qu’un bon nombre d’entre eux seront contraints de le quitter. Après y avoir passé de longues années dans des conditions très dégradées, ils ne verront même pas le supposé renouveau que doit apporter le projet.

Eric Mouveaux, habitant du quartier et militant communiste “Ce quartier est lié à mon histoire familiale et politique. Il émane d’une lutte sociale de ses habitants, qui ont réussi dans les années 1970 à obtenir un plan de rénovation tel qu’ils le voulaient. J’ai connu l’organisation associative exemplaire que nous avions, avec la première régie de quartier de France, un restaurant, une garderie...”

ANRU et NPNRU Lancé en 2014 pour une durée de seize ans, le Nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU) prévoit la transformation de plus de 450 quartiers prioritaires dans l’Hexagone, dont font partie les quartiers roubaisiens. Plus de 3 millions d’habitants sont concernés et plus de 12 milliards d’euros de subventions sont apportés par l’Anru, dont 8,4 milliards d’euros sont financés par Action logement, 2,4 milliards d’euros par l’Union sociale pour l’habitat et 1,2 milliard d’euros par l’État. Les projets profitent à environ 400 communes, dont 85 % étaient déjà concernés par le Programme national de rénovation urbaine (PNRU), en œuvre de 2004 à 2020. Trois évolutions notables sont affichées par l’organisme pour le passage de flambeau du PNRU au NPNRU : une contractualisation en deux temps pour mieux définir les projets, un portage des projets au niveau de l’agglomération plutôt qu’à celui de la commune et une ambition d’associer l’habitant à la conception et à la mise en oeuvre du projet via des conseils citoyens et les maisons de projet. Pour cette dernière, les 3 500 habitants de l’Alma Gare attendent encore...

Mettre les habitants au centre des réflexions

Le contre-projet, porté par le collectif d’habitants contre la démolition de l’Alma, a mis plusieurs années à voir le jour mais commence à prendre forme. Le 25 mai, une réunion organisée avec l’association Appuii (Alternatives pour des projets urbains ici et à l’international) a posé les premières pierres pour apporter des propositions à la municipalité. Des architectes, des sociologues ou encore des urbanistes ont échangé plusieurs heures avec une quinzaine d’habitants. Au travers de groupes d’échanges qui ont permis de lister les besoins et de creuser des thématiques telles la mixité, la qualité de vie ou les services publics, un cahier des charges a pu être établi. Désormais, une réunion aura lieu chaque mois pour faire un état des lieux des avancées. « Ce n’est pas contre le projet en lui-même que nous luttons, s’exclame Florian Vertriest, président du collectif, mais contre la municipalité qui n’a pas consulté la population du quartier au préalable. Ils disent avoir organisé des réunions , mais lors de celles-ci, qui étaient en visio-conférence, il y avait au maximum une dizaine d’habitants de l’Alma. »

Il ajoute également que « les bâtiments concernés sont des bâtiments de qualité », que les « explications techniques sont bancales » et que ces décisions sont en « complète inadéquation avec les crises environnementales et du logement que traverse la France, et tout particulièrement notre région. » « On entend de partout qu’il manque des éco-quartiers, eh bien on a des espaces verts de partout ! Les espaces de vie, comme les jardins communs ou les coursives, ont été fermés sans aucune alternative et, alors que nous rencontrons des problèmes de stationnement depuis des années, la municipalité a toujours refusé de rouvrir les parking souterrains, pour des raisons de sécurité, alors que quelque chose pourrait être mis en place. » Une rencontre avec le maire divers droite, Guillaume Delbar, était pourtant prévue en fin d’année 2022. Mais cette dernière n’a finalement jamais eu lieu , et depuis, celui-ci ne répond plus au téléphone. « Lorsque j’ai voulu prendre rendez-vous et que j’ai dit que je faisais partie du collectif, explique l’un des membres, on m’a fait comprendre qu’ils souhaitaient uniquement parler avec des individualités. Nous n’avons rien d’autre que le projet initial pour l’instant, et ça fait bientôt dix ans que ça dure. »

Une aide d’APPUII Une expertise au chevet des habitants en difficulté

Depuis 2005, les membres d’Appuii apportent leur aide à travers leurs expériences au sein des collectifs d’habitants de quartier risquant une démolition. Elle est constituée d’étudiants, d’universitaires, de professionnels de projets urbains, de militants associatifs ou encore, d’habitants de quartiers populaires. La structure indépendante, officiellement créée en 2012, a déjà travaillé avec plus de 30 collectifs à travers la France et à l’internationale. On y trouve à la fois des villes de banlieue, comme Saint-Maurice, dans le Val-de-Marne, et des métropoles, comme Londres, en Angleterre, ou au Caire, en Égypte.

Gilles Neveux, architecte du bâtiment « des animaux » comme il est appelé dans le quartier, constate également un décalage « J’ai appris la démolition dans la presse, comme beaucoup ici. Les bâtiments concernés sont, pour la plupart, en excellent état ! À l’époque, tout le monde s’exprimait à voix égales et c’est comme ça qu’il faut faire. »

Afin d’ouvrir les discussions à tous les habitants, le collectif de quartier contre la démolition de l’Alma organise un barbecue ce samedi 17 juin, à 17 heures, sur la place de la Grand-Mère. « Et nous invitons bien évidemment la municipalité, la métropole, les bailleurs ou l’Anru, insiste Florian Vertriest, car nous ne voulons pas reproduire les mêmes erreurs qu’eux et ne laisser aucune partie de côté. »