Contre la privatisation d’Aéroports de Paris

Isabelle Bigand bat le terrain

par Philippe Allienne
Publié le 8 novembre 2019 à 16:15

Le combat pour empêcher la vente et la privatisation d’Aéroports de Paris est primordial. Face à un gouvernement qui campe sur ses positions et veut se séparer des bijoux de famille, les citoyens signent la pétition pour organiser un référendum d’initiative populaire sur la question. Le million est presque atteint et peut changer le cours des choses. C’est ce qu’est venue expliquer, devant l’Union locale CGT de Seclin, la secrétaire générale CGT du syndicat Orly-ADP, Isabelle Bigand.

Pour obtenir l’organisation d’un référendum d’initiative populaire sur la privatisation d’Aéroports de Paris, 4,7 millions de signatures de citoyens sont nécessaires d’ici mars 2020. Ne sommes-nous pas loin du compte ?

Mi-octobre, 886 000 signatures avaient été réunies. Un mois plus tard, avec 924 000 signatures, nous approchons le million. Dès que nous y serons, nous franchirons une étape importante. Avec les Gilets jaunes, les riverains, etc., nous mènerons une action en direction du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) pour réclamer des temps d’antenne et pour avoir un débat sur le service public. La campagne se heurte en effet au silence du gouvernement qui ne fait rien pour la faire connaître. Les chaînes publiques ne la relaient pas. C’est anormal. Par ailleurs, quand il a évoqué une réforme constitutionnelle, Emmanuel Macron avait dit qu’un RIP pourrait se mettre en place à partir d’un million de signatures. Pourquoi ne pas appliquer ce chiffre à notre campagne contre la privatisation d’ADP ? C’est un déni de démocratie.

On se souvient d’une première étape de la privatisation dès 2005. À l’époque le personnel s’était mis en grève.

Oui, mais cela n’a pas produit les effets escomptés. Les médias étaient peu présents. Les organisations syndicales ont obtenu chacune 2 à 3 minutes d’expression sur France 3 et à peu près autant sur les chaînes privées. De toute façon, au lieu de gêner les passagers, lorsque l’on fait une action, mieux vaut les fédérer. Nous voulions gagner l’opinion publique. C’est d’ailleurs ce que nous avons fait dès 2017, c’est- à-dire dès qu’il a été question de privatiser ADP. Mais c’est le gouvernement qui coince.

En 2005, c’était la première ouverture de capital.Qu’en ont tiré les syndicats ?

À cette époque, nous avons bien compris que cette ouverture n’était une bonne chose ni pour les salariés, ni pour les usagers. Cette opération s’était soldée par la suppression de 1 500 postes salariés de 2005 à 2017 (soit 25 % du personnel) alors que le trafic aérien a augmenté et que deux aérogares ont été construites. On augmente la surface de travail et on diminue les effectifs. Drôle d’équation.

Lors de la réunion à l’Union locale CGT de Seclin.
© Philippe Allienne

Alors cette année, quelle stratégie avez- vous adoptée, à la CGT, pour obtenir les signatures en vue d’un RIP  ?

Il n’est pas dans l’ADN de la CGT d’aller chercher les politiques. En principe, pour nous, la lutte se mène dans l’entreprise concernée. Mais ici, le contexte est différent. On parle d’un fleuron industriel national. Le président du Conseil départemental du Val-de-Marne, le communiste Christian Favier, s’est montré réactif très rapidement et nous a fait bénéficier de son réseau. J’ai vite obtenu un rendez-vous avec un sénateur communiste puis avec d’autres sénateurs de différentes étiquettes. Nous avons passé un hiver 2017 studieux avec les élus politiques. Les discussions ont démarré dès octobre et nous avons rencontré les sénateurs en décembre. Alors que la mobilisation au sein de l’entreprise ne prenait pas, nous avons créé un front social avec les salariés et les élus territoriaux. Cela a fait boule de neige et le mouvement a pu s’étendre aux trois aéroports d’ADP : Orly, Roissy et Le Bourget. C’est comme cela aussi que nous avons commencé à gagner l’opinion publique malgré les blocages du gouvernement. En février 2019, le Sénat s’est prononcé contre la privatisation.

Quels sont les enjeux ?

Aéroports de Paris, c’est un chiffre d’affaires de 4,2 milliards d’euros en 2018. C’est une entreprise unique avec 200 métiers, c’est le savoir-faire de 6 345 salariés, c’est un hub télécom, c’est un bassin d’emploi et une plateforme aéroportuaire gigantesque avec le marché MIN de Rungis, c’est le premier propriétaire foncier d’Île- de-France. La liste est longue. ADP, c’est un fleuron qu’il faut garder parce que cela rapporte à l’État. Quand tout est payé (les impôts, les charges, etc.) il reste 610 millions d’euros de bénéfices par an (chiffre 2018, ndlr) dont 200 millions pour l’État. Et puis, il est important que la France, qui est la première destination touristique au monde, puisse préserver la maîtrise publique de ce bien commun qu’est ADP.

Que pensez-vous des conditions dans lesquels l’État veut vendre ?

Le montage est difficilement compréhensible. L’État veut revendre ADP pour 11 milliards d’euros qui seront replacés dans un fonds d’innovation qui s’occuperait de start-up. Le compte n’y est pas. Par ailleurs, le repreneur privé jouira d’une concession de 70 ans et les actionnaires vont être indemnisés sur les futures pertes éventuelles ! C’est ce que veut le gouvernement. En plus, 6 milliards d’euros de travaux sont actuellement réalisés pour rendre la mariée encore plus belle (avec une nouvelle aérogare).

Que changerait fondamentalement la vente au privé ?

L’État peut-il se passer de 200 millions d’euros par an alors que les hôpitaux et bien d’autres services publics crient au secours ? Dans l’état actuel des choses, les bénéfices devraient s’élever à 1,2 milliard d’euros en 2025. Or, que va faire un repreneur privé ? On pense notamment au cas de la privatisation des autoroutes et de ce que fait le groupe Vinci. Imaginons que Vinci soit le repreneur d’ADP. Il serait le premier mondial. Ce serait lui faire un cadeau hors du commun. Il encaissera la taxe sur les billets. Actuellement, cette taxe est utilisée pour les dispositifs de sécurité comme les caméras. Mais demain ? On peut aussi imaginer que la sous-traitance (qui fonctionne actuellement via des contrats avec l’État) ne sera pas la préoccupation majeure du repreneur.

Quid de la politique environnementale ?

Comme l’objectif du repreneur privé sera de gagner beaucoup d’argent, il va œuvrer à accroître le trafic aérien. À Roissy, qui bénéficie de limitations de vols en raison de la proximité des habitations (c’est le couvre-feu de 23h30 à 6h30 durant lequel il n’y a pas de décollage), on imagine que le repreneur touchera à cette particularité. Seuls six aéroports sur 500 eu Europe disposent d’une limitation de vols. Mais de toute façon, on peut douter que la croissance d’ADP et les richesses produites soient consacrées à l’enjeu écologique.

AÉROPORTS DE PARIS EN CHIFFRES
  • 6 345 > C’est le nombre de salariés d’ADP
  • 4,2 milliards > En euros, le chiffre d’affaires généré en 2018
  • 200 > Le nombre de métiers sur l’ensemble des sites ADP
  • 1 milliard > C’est le chiffre d’affaires annuel, en euros, réalisé par les 386 boutiques
  • 1 million > En m2, c’est la surface de l’ensemble des bâtiments
  • 6686 > En hectares, c’est l’emprise d’ADP, soit les 2/3 de la surface de Paris
Pour signer et soutenir le référendum : Munissez-vous de votre carte d’identité et allez sur le site : https://referendum.interieur.gouv.fr/ Si vous ne parvenez pas à saisir votre soutien sur le site, vous pouvez le faire en déposant un formulaire papier dans votre mairie : www.formulaires.modernisation.gouv.fr/gf/cerfa 15264.do