Entretien avec Olivier Nobile, militant associatif et enseignant

La Sécu est à nous !

par Franck Jakubek
Publié le 17 mai 2019 à 18:10

Olivier Nobile est militant associatif, responsable de la commission santé-protection sociale de l’Union des familles laïques UFAL) et chargé d’enseignement sur le droit social à l’Institut d’études politiques de Strasbourg. Il est à Calais ce soir pour parler de la Sécurité sociale avec la CGT.

Depuis sa création, nous avons le sentiment que tout a été fait pour détruire la Sécurité sociale. Qu’en pensez-vous ?

Ce serait un peu excessif de le dire comme ça. Il faut voir déjà l’extraordinaire succès de la Sécurité sociale. Dans un pays dévasté par la guerre, on a été capable de créer un système véritablement révolutionnaire. Et qui révolutionne toutes les approches en matière de protection sociale dans notre pays.

Aucun pays ne dispose d’un système équivalent. Existe-t-il d’autres exemples, des précédents ?

Nous ne sommes pas les premiers. Il y a eu des expériences de protection sociale bien avant la France. Dans l’histoire contemporaine, l’Allemagne est la première sous Bismarck a avoir créé un système de protection sociale. En Grande-Bretagne, il a eu des expériences à partir de années 1910. Mais la France semble en retard sur le sujet. La première loi aboutie sur les accidents du travail date de 1898, après ce sont les retraites ouvrières et paysannes qui sont un échec en 1910, défendues par Jean Jaurès, mais le choix d’un système de retraite par capitalisation n’est pas étranger à cet échec, c’est quand même la première grande tentative de création d’un système de protection sociale fondé sur la figure du travailleur, du salarié.

C’est la question du statut de salarié qui est important ?

C’est indissociable de la structuration du salariat et de la reconnaissance de la figure du travailleur non pas étant entendu comme « soumis » à l’employeur mais, par le droit du travail et le droit de la sécurité sociale qui va naître à partir de 1945 ; on a finalement une histoire du salariat qui s’écrit avec ces deux attributs juridiques. En 1930, les assurances sociales sont la première législation complète pour les travailleurs. Il en restera des caractéristiques en 1945. Mais on n’arrivera pas à effacer toutes les différences entre les salariés, ni à mettre fin à l’émiettement socio-professionnel ; ils sont soumis à des régimes qui sont basés sur une appartenance par métier.

C’est à partir de ce concept que vient la notion d’assujetti ?

Exactement. A partir du moment où fait du travail salarié, par le biais de la cotisation sociale, le point de départ de la dévolution d’un droit nouveau, le salarié cesse d’être simplement un travailleur soumis à l’autorité de son travailleur et devient un « sujet » de droit. Et un droit autonome basé sur la reconnaissance de caractéristiques sociales qui ne sont plus liées à l’exécution du contrat de travail.

Par la même, le salarié redevient donc un homme libre ?

C’est la Sécurité sociale qui donne cette liberté.C’est la cotisation sociale, outil extrêmement puissant, qui fait la différence. En 45, trois caractéristiques essentielles qui vont révolutionner la protection sociale. On crée un régime général, le même pour tout les travailleurs, pour mettre fin à l’émiettement. La CGT qui prend le pouvoir dans les premières caisses de Sécurité sociale, grâce notamment à l’appui du ministre Ambroise Croizat, initiateur incontestable avec Pierre Laroque. C’est grâce à l’action résolu de la CGT, entre 45 et 47, que la Sécu peut voir le jour.

Quels freins ont rencontré les fondateurs de la Sécu ?

Il y a une hostilité énorme. Les freins sont considérables. Il faut mettre fin à l’image d’Épinal selon laquelle il y aurait une forme d’union sacrée à la fin de la guerre. La CGT doit faire face à un certain nombre de corps constitués extrêmement hostiles.

Vous avez des exemples en tête ?

La CFTC était très hostile. Il défendait une position très différente de la CGT. La pomme de discorde initiale est la composition des conseils d’administration. L’arrivée dès 1948 de FO, créé à l’époque pour diviser à partir de financements américains. Ensuite, les gaullistes sont opposés même si De Gaulle laisse faire. Leur approche est plus proche du système libéral. Enfin, le patronat même s’ il fait profil bas au lendemain de la guerre, largement écorné par la collaboration. Mais il fait en sorte très tôt d’empêcher que le système de régime général puisse se créer. Il le fait en créant des régimes complémentaires, comme l’AGIRC pour les cadres, avec des règles complètement différentes.

C’est le début du paritarisme ?

Et ce n’est pas l’esprit. L’AGIRC est la tête de pont du paritarisme. Nous avons d’un côté un syndicalisme très divisé, incapable d’avoir une parole unifié. Alors qu’en face le patronat est organisé. Il suffit de signer un accord avec un syndicat même ultra minoritaire et il obtient la majorité. La paritarisme, imposé au régime général en 1967, lors de la grande « réforme », cherchait uniquement à installer le patronat dans une position hégémonique et contrarier les projets de la CGT qui était à l’époque le syndicat le plus puissant.

Olivier Nobile participera aussi le jeudi 30 mai à 17 h, dans le cadre de l’université Populaire Laïque préparée par l’UFAL, à une séance plénière ouverte à tous sur le thème : « réforme des retraites, la mère de toutes les batailles sociales » à Lille sur inscription ; voir le programme complet sur le site de Liberté-Hebdo ; Le 11 juin, il animera une conférence sur la réforme des retraites à 18 h à l’Udaf de Meurthe et Moselle, rue Albert Lebrun à Nancy ;

Pour en finir avec le trou de la sécu ! Repenser la sécurité sociale au XXIème siècle

Olivier Nobile

Penser et Agir éditeur

20 euros