Française des Jeux

La vente des bijoux de famille

par Franck Jakubek
Publié le 15 novembre 2019 à 18:24 Mise à jour le 27 novembre 2019

Les soubresauts libéraux frappent à la porte de l’histoire. Les bénéfices de la Loterie nationale servaient après-guerre à aider les blessés de la face, « les gueules cassées » victimes de la Première Guerre mondiale. La Française des Jeux, qui porte cet héritage, est en cours de privatisation.

Prendrait-on, dans les couloirs de l’Élysée, les Français pour des vaches à lait sans mémoire ? En pleine mobilisation pour obtenir un référendum contre la privatisation des aéroports de Paris, nos dirigeants continuent la mise sur le marché de nos bijoux de familles. Malgré une forte contestation, la majorité a obtenu l’autorisation de vendre en bourse la Française des Jeux. Avec le double paradoxe d’être à la fois un instrument de recettes pour l’État, en rapportant notamment chaque année 3,5 milliards d’euros, et d’asseoir sa stabilité sur un monopole, situation quasi unique en Europe.

Dans les faits, le groupe descend de notre bonne vieille loterie nationale créée par décret en 1933 pour aider et subvenir aux besoins des invalides de guerres. En 1935, L’Union des blessés de la face et de la tête est créée par le colonel Picot. L’association se finançant grâce à des tombolas puis la Loterie. Aujourd’hui elle ne détient plus que 9,2 % des actions de la Française des Jeux. Le reste étant entre les mains de l’État (72 %), un fonds commun de placement pour le personnel (5 %) et des actionnaires individuels pour le restant.

Tous actionnaires !

Les actions mises en vente dans l’opération en cours, largement médiatisée, sont donc celles de l’État. Une privatisation qui chante comme les sirènes les bienfaits de l’actionnariat individuel. Tous les jours, la télé diffuse des publicités.Dans tous les journaux [NDLR sauf Liberté Hebdo ], des publicités vous incitent à devenir actionnaires. À grands renforts d’argent public, le gouvernement pousse la méthode, enfonce le clou. Une vraie bataille idéologique, sur un choix de société, est en cours. Et tous les moyens sont dans les mêmes mains.

L’argument imparable est celui de la croissance permanente du nombre de joueurs, sans parler de l’addiction et de l’attractivité de l’appât du gain dans un contexte de précarisation forcée avec une réduction constante des aides et des minima sociaux. Sans rappeler aux futurs actionnaires que le jour de la mise sur le marché, le prix de vente sera forcément majoré, au vu de la demande, et son cours s’affaiblira vite. Les précédentes privatisations laissent encore de sinistres souvenirs à ceux qui ont souscrit à l’ouverture du capital. Surtout que nous sommes déjà tous actionnaires, au travers de l’État, actionnaire majoritaire.

C’est le patrimoine de tous qui, comme pour les péages autoroutiers, va être mis entre les mains des intérêts privés. En vendant ce trésor national, l’État se prive d’emblée d’une recette exceptionnelle. En outre, rien ne dit que le monopole pour les jeux détenu par l’entreprise nationale sera toujours aux mêmes conditions une fois l’État devenu minoritaire au conseil d’administration. Que va dire la concurrence européenne de cette situation inédite ?

Enfin, à chaque privatisation, la part de l’État décroît toujours progressivement. Et dans de nombreux cas, les administrateurs siégeant au nom de l’État sont rarement les plus empressés à garantir les missions de service public en matière d’énergie ou de télécommunications. Alors, sur les jeux d’argent..