Reprise de Camaïeu

Le fruit de la sueur et de la lutte

par Philippe Allienne
Publié le 21 août 2020 à 12:45

Pour les salariés de Camaïeu, la décision du tribunal de commerce de Lille a été rendue comme prévue, lundi 17 août en début de matinée. Comme prévu, mais pas en salle d’audience. Le jugement a été remis par le greffe. Il va dans leur sens.

Période de congés oblige,tout le monde ne pouvait être présent à Tourcoing (siège du tribunal). Mais une fois la décision connue, le soulagement a apaisé les syndicalistes et autres salariés. Quelques minutes plus tard, sur les pelouses ensoleillées du tribunal, Omar Rahni, représentant CGT du CSE de l’entreprise de prêt-à-porter, n’a de cesse de brandir le texte et de lire et relire ce passage :« Force est de constater que même si les fautes antérieures ne peuvent leur être reprochées, l’équipe dirigeante du Consortium (la direction de Camaïeu et trois fonds d’investissement actionnaires – ndlr) n’a pas su ou pas pu acquérir et conserver la confiance du personnel. De ce fait, la réussite du projet du Consortium apparaît trop fragile. Le Tribunal regrette amèrement la faiblesse des prix de reprise particulièrement celle de FIB qui a été qualifiée d’indécente lors des débats. Néanmoins, l’intérêt de l’entreprise reste sa pérennité qui apparaît meilleure dans le projet FIB. Sur ce, le Tribunal ordonne la cession de l’entreprise au profit de la société Financière immobilière bordelaise (FIB) société par actions simplifiée. » C’est acquis, si tout n’est pas gagné, c’est bien l’offre portée par Michel Ohayon, à la tête de la FIB qui est retenue. C’était la « mieux disante »puisqu’elle propose de garder 2 659 salariés sur les 3 900 et 511 points de vente. La FIB promet d’apporter un million d’euros en capital, 4 millions en obligations simples, 15 millions de compte courant, 65 millions de prêt garanti par l’État. Elle s’engage aussi à abonder au Plan de sauvegarde de l’emploi à hauteur de 10 % du prix de cession des stocks anciens avec versement d’une provision de 300 000 euros dès la mise en place du PSE. Le siège demeure à Roubaix.

La lutte a payé
Syndicalistes et élus se sont unis pour assurer la reprise de l’enseigne et sauvegarder un maximum d’emplois.
© Philippe ALLIENNE

S’ils n’explosent pas de joie parce qu’il « y aura de la casse quand même » avec les licenciements et les fermetures de magasins (dont deux à Lille), les syndicats CGT, CFDT et FO estiment avoir recueilli les fruits de leur lutte. « Le tribunal reconnaît qu’une entreprise, cela fonctionne en couple avec ses salariés. C’est ce qu’il veut dire en écrivant que nous n’avions plus confiance en l’ancienne direction » , dit l’un d’eux. Pour un autre, « nous récoltons le fruit de notre sueur et de notre engagement ». Mais la décision du tribunal offre aussi un camouflet à l’ordonnance Macron du 20 mai qui autorise, par dérogation en raison de la crise de la Covid, à un entrepreneur dont l’entreprise est en liquidation de se présenter comme repreneur. Or, de nombreuses entreprises sont confrontées à cela. Après la remise du jugement, les syndicalistes se sont rendus au siège roubaisien. L’idée était de faire apprécier la nouvelle par les salariés postés qui devaient sortir à midi. Impossible. La désormais ancienne direction n’a pas laissé faire et a prié représentants du personnel et journalistes de quitter l’enceinte de l’entreprise. Pas question en effet de laisser filmer la satisfaction des salariés. Le directeur des ressources humaines, très tendu, est venu le dire lui-même aux intéressés. De son côté, Lucie Colier, déléguée syndicale CGT et élue suppléante au CSE, rappelait que la grève de six jours observée fin juillet pour soutenir l’offre de la FIB avait fini par payer. Une offre décidément meilleure que celle du consortium qui ne prévoyait que de reprendre 2 148 salariés et qui voulait aussi sacrifier le prestataire de Hem, Dispeo, et ses 150 salariés. Pour l’instant, ces derniers sont sauvés. Reste à voir comment la FIB va permettre à Camaïeu de remonter la pente et gagner le pari de la vente sur internet. Seul point noir pour l’instant, les lettres de licenciements qui partiront pour celles et ceux qui n’opteront pas pour un départ volontaire. Mais si Camaïeu trouve une issue positive, cela se fait sur fond très grisâtre pour le secteur de la distribution, des commerces et services. Damartex, la maison mère de Damart est dans le rouge. Phildar, une maison fondée en 1903 à Roubaix, vient quant à elle d’être placée en redressement judiciaire.