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Social/santé

Les métiers de l’humain en crise

par Alice Labro-Terrier
Publié le 22 octobre 2021 à 11:32

Les associations du secteur privé social et médico-social souffrent. 300 d’entre elles ont porté ou fait porter leur voix lors d’une conférence à l’Institut régional du travail social (IRTS) de Loos le 14 octobre dernier. Elles alertent sur le manque de moyens financiers et les répercussions sur l’accompagnement de leurs patients.

La récente crise du Covid n’a fait que renforcer les difficultés auxquelles les associations faisaient face auparavant. Habituellement, chaque structure défend l’intérêt général à travers son association, avec ses propres revendications et selon ses propres besoins. Elles ont, cependant, décidé de faire front commun, afin de faire entendre davantage leurs voix. Un mouvement inédit, pour une situation inédite. « Notre rencontre est fondée sur la crise des métiers de l’Humain » explique Annette Glowacki, présidente de l’Uriopss Hauts-de-France (Union régionale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux). Elle y voit une question de société qui devrait interpeller chacun. Un manifeste, signé par les associations présentes, veut ainsi « alerter à tous les étages », en direction des élus, des professionnels et des citoyens (lire en page 9).

Attractivité en panne

L’une des préoccupations majeures porte sur le manque d’attractivité. Les acteurs associatifs accompagnent des personnes en situation de handicap, des enfants en danger, des personnes âgées, luttent contre l’exclusion sociale et juridique de certains publics. Tous sont unanimes pour pointer le recul de l’attractivité dans ces secteurs. Ainsi de Guillaume Alexandre, représentant de Nexem (organisation professionnelle des employeurs du secteur social, médico-social et sanitaire à but non lucratif) : « En 2025, 150 000 personnels du secteur partiront à la retraite. Qui sera là pour les remplacer ? » s’inquiète-t-il. Ce manque d’attractivité dans ces secteurs essentiels s’explique malheureusement facilement. En premier lieu, l’augmentation des personnes dans le besoin. Dans le secteur de la protection de l’enfance, durant le premier confinement, les services d’urgence ont enregistré une hausse de 30 % des violences intra-familiales. Il fallait s’occuper de la sécurité des enfants dont les violences subies étaient antérieures au confinement, mais aussi s’occuper de la protection de ceux dont les premières violences déclarées sont arrivées pendant la crise. Pourtant, les effectifs de personnels de protection de l’enfance n’ont pas augmenté. Dans les associations chargées de la protection de l’enfance, il n’y a pas eu d’aide financière de la part de l’État. Il était donc impossible d’augmenter les effectifs, et donc, de permettre une meilleure prise en charge des enfants concernés. Dominique Bilot, déléguée régionale de la Cnaemo (action éducative en milieu ouvert) rappelle que « les enfants d’aujourd’hui seront les adultes et les parents de demain ». Le manque de financement conduit à deux conséquences. La première, l’incapacité d’embaucher du personnel formé, ce qui augmente la charge de travail du personnel déjà présent. La seconde est que le secteur concerné n’attire plus, du fait de l’impossibilité de gagner sa vie correctement, sans s’épuiser plus que de raison. « Comment seront accompagnées les personnes que l’on nous a confiées ? », s’inquiète Guillaume Alexandre.

Les associations, oubliées par l’État

« Depuis 18 mois, nous sommes en première ligne, par sollicitation et par engagement » rappelle Hugues Deniele, président de la FAS Hauts-de-France (Fédération des acteurs de la solidarité). Il déplore ne pas avoir vu les associations du secteur médico-social parmi les prioritaires. Le Ségur de la santé n’a eu d’yeux que pour les hôpitaux. « Il ne s’agit pas de contester ce qui a été fait du côté de l’hôpital public » précise Guillaume Alexandre, mais selon les directeurs d’association médico-sociales, il aurait été nécessaire d’en faire profiter le secteur associatif. Seul le secteur « grand-âge » a pu en bénéficier. Et encore, on sait que les professionnels de l’hôpital public sont très mécontents face aux insuffisances du Ségur. Et l’acte 2 du Ségur, n’arrange rien. Guillaume Alexandre poursuit, « l’État, à travers un travail à moitié fait, nous met en difficulté ». Claude Hocquet, président de l’Udapei 59, ajoute : « Il faut souligner le peu de considération de nos partenaires, si l’on peut les appeler comme cela, l’État, l’ARS, le Département, et la secrétaire d’État chargée des Personnes handicapées, Sophie Cluzel. » Si, via l’ARS, ils ont pu recevoir une maigre aide, le Département du Nord, lui, ne donne aucun signe de vie à ce niveau. En ce qui concerne le secteur privé de la protection de l’enfance, il n’est également pas concerné par le Ségur. Fabienne Lemaire, déléguée régionale du Cnape (protection de l’enfant), rappelle que dans le secteur de la protection de l’enfance, il existe une réelle disparité territoriale. Les fonds pour les associations privées dépendent, entre autres, du bon vouloir des Départements, ce qui aggrave davantage la situation. Pour le secteur du handicap, nous sommes bien loin des objectifs du gouvernement, qui en avait fait l’une des priorités du quinquennat. « Vouloir faire des économies sur le dos des personnes en situation de handicap, n’est pas un projet de société, mais un scandale » juge Claude Hocquet. Dans le Pas-de-Calais, il n’y a eu aucune augmentation des budgets dans le secteur, depuis dix ans. Quant au Nord, les associations sont en déficit depuis 2015. Il n’y a eu, en six ans, qu’une seule faible revalorisation.

Des choix politiques

Selon les associations, un minimum de 565 millions d’euros serait nécessaire pour le secteur du handicap et de l’exclusion sociale. Sans compter les revalorisations des salaires du secteur associatif privé. Fabienne Lemaire a, quant à elle, insisté sur la nécessité d’une équité entre les départements. L’argent est là, mais il est mal réparti sur le territoire. Il est également important selon elle d’avoir un rapport au niveau national sur la situation. Selon Annette Glowacki, ainsi que tous les acteurs du secteur médico-social, l’État possède les moyens nécessaires, mais il ne s’agit que de choix politiques. Elle donne rendez-vous aux associations ayant signé le manifeste le 30 novembre pour la suite de la mobilisation.