Grande distribution

Les salariés de Carrefour luttent contre un changement de statut

par Philippe Allienne
Publié le 30 avril 2021 à 11:57 Mise à jour le 3 mai 2021

Ils l’ont appris en début de semaine dernière : sept salariés du magasin Carrefour, à Lomme, faisaient l’objet d’une assignation en référé devant le tribunal judiciaire de Lille. Leur direction leur reprochait d’avoir bloqué l’accès à l’enseigne toute la journée du samedi 24 avril alors qu’ils étaient en grève contre la mise en location gérance du magasin. La direction a finalement été déboutée ce vendredi 30 avril. Elle est condamnée à verser 500 euros à chacun d’entre eux au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Retour sur les faits.

Il ne faut pas toucher à la raison d’exister de la grande distribution : l’argent qui tombe à flots au fur et à mesure que les charriots se remplissent. Plus encore le week-end. Or, ce samedi 24 avril, 90 % des salariés de l’hypermarché Carrefour, à Lomme, étaient en grève à l’appel de la CGT, de FO et de la CFDT. Tous n’étaient pas d’accord sur les modalités d’action. Les syndicalistes de Force ouvrière, par exemple, manifestaient leur colère à l’écart du groupe et du piquet de grève qui s’était constitué. Aujourd’hui, ils se désolidarisent de l’action de blocage voulue par la CGT et la CFDT qui avaient renversé des chariots (les fameux « caddies ») devant les caisses et avaient empêché les clients de faire leurs courses. « C’est très grave, commente Chantal Venderotte, représentante régionale pour FO. Nous voulions montrer notre mécontentement aux clients et aux salariés. Mais bloquer le magasin n’est pas sans conséquences. Maintenant, ils vont passer en justice. » Au bout du compte, les salariés assignés n’ont pas été condamnés, la direction de Carrefour ayant été déboutée de sa demande. La colère, parfois, peut justifier des actions fortes. La mise en location gérance de plusieurs établissements Carrefour (dix hypermarchés et 37 Carrefour Market sont concernés) permet à l’enseigne de placer ses points de vente entre la gestion en propre et le statut de franchise. Elle conserve la maîtrise de l’implantation et elle incite tel directeur d’un de ces points de vente à constituer une société, à la gérer, à devenir l’employeur des salariés. « Celui ou celle qui se lance dans cette opération doit débourser environ 10 à 50 000 euros, explique Olivier Genestar (CGT). Ensuite il ou elle paie une redevance sur le chiffre d’affaires et non sur le résultat. Cela lui coûte cher. Enfin, le contrat de location gérance est renouvelable tous les ans.  » On devine la crainte : les salariés changent d’employeurs, perdent leurs avantages acquis et leur nouvel employeur risque fort de répercuter les coûts sur les salaires et sur les effectifs. On parle d’une diminution de 30 % du nombre d’employés. « Par ailleurs, poursuit Olivier Genestar, le personnel se voit imposer la convention collective de branche et perd à la fois l’intéressement et la participation. Cela représente entre 1 000 et 2 000 euros par an, en fonction de l’exercice. Il perd aussi la sixième semaine de congés payés. » 261 salariés sont concernés à Lomme. Ils sont 3 500 pour l’ensemble des magasins compris dans l’opération.

Des conséquences alarmantes et graves

Si Force ouvrière rappelle que, du point de vue du droit, il n’y a rien à dire (« le code du travail dit bien que Carrefour peut mener ces opérations », souligne Chantal Venderotte), les conséquences pour le personnel sont de taille. D’ailleurs, les trois organisations syndicales qui appelaient à la grève samedi, à Lomme et dans d’autres magasins de la métropole lilloise, en ont établi une liste dans un tract commun qu’ils ont distribué pour l’occasion :

  • Perte de la mutuelle APGIS dans sa forme actuelle,
  • Plus d’accord seniors,
  • Diminution de la majoration des heures de nuit,
  • Plus de paiement des astreintes,
  • Les 10 % carte Pass uniquement sur le magasin,
  • Réduction du temps de travail de 15 minutes par jour pour les femmes enceintes, au lieu de 30,
  • Baisse de l’indemnité de départ à la retraite,
  • Baisse du nombre de jours d’ancienneté (trois jours maximum),
  • Plus de compte épargne temps
  • Perte de la semaine de repos supplémentaire,
  • Baisse de l’indemnité de congé maternité,
  • En cas d’arrêt maladie, sept jours de carence au lieu de trois,
  • Baisse du complément de salaire en cas d’arrêt maladie, d’accident du travail ou de maladie professionnelle,
  • Baisse du nombre de jours pour événements familiaux,
  • Cinq jours pour enfants malades au lieu de six ou neuf et non rémunérés (jusqu’à 16 ans au lieu de 18). À la direction de Carrefour, on tempère en rappelant que deux accords ont été signés préalablement avec les représentants syndicaux. L’un de ces accords précise que les « contrats de travail seront repris avec l’ancienneté et le salaire brut de base des intéressés ». Le maintien de la mutuelle serait aussi garanti. Mais les salariés sont méfiants et la note à payer demeure de toute façon très lourde. « Si nous sommes dans cette situation aujourd’hui, c’est à cause d’une très mauvaise gestion du magasin, énormément de ruptures, manque de personnel et aucun investissement », lit-on encore dans le tract intersyndical.

Le souvenir de la liquidation de DIA

« La location-gérance offre l’avantage à la direction de Carrefour de se débarrasser des maillons faibles en évitant de licencier elle-même » s’inquiète Olivier Genestar. D’ici un an ou deux, souffle-t-il, on peut s’attendre à de mauvaises surprises. Et il lui revient le souvenir de la manière dont Carrefour a racheté les magasins DIA, il y a quelques années, pour mieux les liquider dans la plus grande discrétion.