Bridgestone : les salariés et les élus réclament une alternative à la fermeture

par Philippe Allienne
Publié le 17 septembre 2020 à 21:08 Mise à jour le 21 septembre 2020

Après le choc de l’annonce, par la direction de Bridgestone, de la fermeture de l’usine de Béthune, les salariés et les élus préparent la riposte et réclament le maintien des emplois avec la mise en place d’un projet alternatif.

Ils étaient plusieurs centaines, ce jeudi matin 17 septembre, à venir soutenir les salariés de Bridgestone, à Béthune. Au-delà des 863 emplois que le groupe veut supprimer d’ici avril 2021, ce sont des milliers de personnes (avec les intérimaires et les emplois indirects) qui sont les victimes désignées de la décision japonaise.

Brutalité

Avant même l’arrivée de la sénatrice communiste Cathy Apourceau-Poly et des députés Fabien Roussel et Adrien Quattennens, les salariés et leurs représentants syndicaux de la CGT et de Sud occupaient le terrain devant la porte de l’usine. « Nous avions prévu un rassemblement devant le centre hospitalier de Béthune-Beuvry, dans le cadre de la journée d’action de ce 17 septembre, mais après avoir entendu l’annonce de la fermeture de Bridgestone, nous avons décidé de venir ici. » Pour cet hospitalier CGT, la question ne se posait même pas. Même chose pour les territoriaux de l’agglomération, les salariés de PSA Douvrin, ceux de l’industrie chimique, l’Union départementale CGT, les salariés de Cargill Haubourdin, etc.

Toutes et tous sont d’accord sur ce point. La brutalité de l’annonce a révolté tout le monde. « Ce sont des salopards, ni plus, ni moins ! » lâche ce délégué syndical de Bridgestone. Plus insupportable que tout, c’est quand les salariés ont appris la nouvelle de la bouche de leurs enfants, en rentrant chez eux le 16 septembre. « Il y aura des problèmes psycho-sociaux, des drames familiaux, voire même des suicides. Et ce sera la faute à Bridgestone ! » prédit Jean-Luc Rickebusch, délégué syndical et membre de l’UD. Si la crainte de la fermeture du site planait depuis longtemps (chute de la production, insuffisance des investissements), salariés comme élus espéraient un sursaut. D’autant que le gouvernement avait été interpellé par les parlementaires et que l’entreprise avait reçu des subventions. « Il est hors de question que cette usine ferme, tonne encore Jean-Luc Rickebusch. Elle fait partie de notre patrimoine. N’oublions pas qu’au début, ses ouvriers étaient des anciens mineurs ! ».

Un scénario écrit d’avance

Au départ, le 21 septembre 1961, c’est Harvey Firestone Jr. qui inaugure l’usine avec 400 salariés. Cette partie du bassin minier prend un nouveau départ. On est bien au-delà du symbole. Un an après, l’effectif est doublé et la production va s’accroitre jusqu’à 17 000 pneus par an en 1974 avec l’agrandissement de l’usine. En 1988, celle-ci est rachetée par le japonais Bridgestone. Tout semble aller pour le mieux. Le groupe investit, l’effectif augmente jusqu’à 1 200 salariés, voire même jusqu’à 1 700 comme le rappelle Fabien Roussel. Mais à partir de 2018, le vent tourne, ou plutôt, la stratégie change. Les salariés (1 080 à l’époque) vont en faire les frais lorsque la direction veut leur imposer un accord de performance collective, ce type d’accord chantage, à prendre ou à laisser.Cela aussi, Fabien Roussel l’a rappelé ce jeudi lors de son intervention à Béthune. « Il s’agissait de travailler plus sans être payé en conséquence et d’accepter des suppressions de postes avec une nouvelle organisation. Vous avez accepté. Vous ne pouvez être tenus pour responsables de ce qui arrive aujourd’hui. »

Lire aussi les réactions politiques face à l’annonce de la fermeture de Bridgestone.

Les responsables sont ceux qui, à Tokyo, tirent un trait sur Bridgestone Béthune en estimant que l’usine n’est plus rentable et qu’elle est devenue obsolète. Or, rien n’a été fait pour la moderniser. En 1987, la production de pneus pour poids lourds avait été abandonnée. Plus de trente ans plus tard, elle ne produit pas de pneus pour les SUV (les véhicules utilitaires sport que préfèrent de nombreux consommateurs aujourd’hui). Ces pneus sont bien sûr à forte valeur ajoutée. En 2019, la direction de Bridgestone Béthune a annoncé diminuer la production pour passer de 12 000 pneus par jour à 9 000 dès fin décembre 2019. C’était le début de la fin. Bridgestone explique son choix stratégique par les surcapacités de production en Europe et par le ralentissement du marché automobile. « Mais précisément, répond Fabien Roussel, c’est Bridgestone lui-même qui, comme Michelin et Goodyear avant, a organisé la concurrence des pays à bas coût en y implantant des sites : l’Asie et, en Europe, la Slovaquie, la Tchéquie, la Pologne. »

Exiger la conditionnalité des aides publiques

Mais pour le PDG de Bridgestone Europe Afrique et Moyen-Orient, Laurent Dartoux, la cause est entendue. Il invoque des « problèmes de marché structurels » et la « nécessité de préserver la viabilité des opérations de l’entreprise » dans sa déclaration à l’AFP. Il promet de limiter le nombre de licenciements en ayant recours à des mesures de préretraite ou de reclassement interne et externe. En face, personne ne veut l’entendre de cette oreille. Même le gouvernement et la Région Hauts-de-France, qui ont aidé le site béthunois, parlent de trahison et demandent des solutions alternatives. Pour Fabien Roussel, qui note que, avec les intérimaires et les emplois indirects, ce sont 3 000 à 4 000 familles qui seront atteintes si le projet est mis à exécution, « il convient de maintenir tous les emplois à Béthune ». Selon lui, « il faut porter le combat à l’échelle européenne et le président Macron doit se mouiller ». Le député communiste estime que les besoins d’investissement s’élèvent entre 200 et 300 millions d’euros. Il en ressort de la responsabilité de Bruxelles et de l’État français. « Après tout, rappelle-t-il, Bridgestone a touché 20 millions d’aides européennes pour construire ses sites. Qu’il répartisse au moins le travail pour que l’usine de Béthune ait de l’avenir. » Au-delà, le député, suivi par celui de France insoumise, promet de mener aussi la bataille devant l’Assemblée nationale. Principaux axes : ne plus accorder d’aides publiques aux entreprises sans contreparties (comme le maintien et le développement de l’emploi). En cas de défaut : exiger le remboursement des aides publiques.