Grève des infirmières

« On ne fait plus de l’humain, on fait du chiffre »

Publié le 23 novembre 2018 à 12:47 Mise à jour le 24 novembre 2018

Près de cent cinquante infirmiers diplômés d’Etat (IDE), libéraux et salariés des secteurs public et privé, ont manifesté le 20 novembre à Lille, à l’appel des principaux syndicats infirmiers de la métropole. Pierre travaille depuis sept ans en réanimation dans une clinique privée. C’est la première fois qu’il manifeste. Ses explications.

Vous vous mobilisez pour la première fois. Pourquoi ?
Avant, je découvrais le métier, j’espérais une évolution positive. Maintenant, j’ai compris qu’il ne se passera rien si on ne se mobilise pas. Avant, la qualité des soins et la réputation qui allait avec était importante pour les hôpitaux.
Maintenant, avec la tarification à l’acte, plus les pathologies sont lourdes et les patients difficiles à soigner, plus cela rapporte. Cela a participé à la détérioration de nos conditions de travail : on opère des gens quitte à risquer leur vie, ce qui implique une prise en charge plus importante et précise, et dans le même temps, les infirmiers et les aides-soignants sont moins nombreux, travaillent avec moins de matériel, moins de temps, moins de moyens. On court à l’épuisement des personnels paramédicaux et à la catastrophe pour les patients, dont la prise en charge n’est plus optimale.

Dans mon service, qui compte une soixantaine de personnes. Les arrêts maladie se multiplient pour dépression et burn out, et chaque année, certains décident de se réorienter, de changer de voie.

Quelles sont vos revendications ? Sont-elles différentes du secteur public ?
On voudrait bénéficier de plus d’attention de la part du ministère, qui chouchoute les médecins au préjudice des personnels paramédicaux. Dans le secteur privé, les médecins ont tous les pouvoirs, alors que les services tournent majoritairement grâce aux infirmiers.
En France, les IDE ont le niveau de considération et de revenus les plus bas d’Europe, alors que la qualité de notre formation est reconnue dans le monde entier. Nos connaissances, notre savoir-faire ne sont pas valorisés.
La création prévue des assistants médicaux en est la preuve : un infirmier diplômé d’Etat peut de facto accomplir toutes les missions prévues dans les fiches de poste de ce nouveau métier.

Les infirmières manifestaient le 20 novembre à Lille. (Photos Aurélie Dhénin)

En quoi l’amélioration de vos conditions de travail pourrait améliorer la prise en charge des patients ?
Si nos conditions de travail s’améliorent, l’impact positif pour les patients sera immédiat. La prise en charge gagnera en qualité si nous avons plus de temps à accorder à chaque patient, et des infirmiers mieux rémunérés feront des professionnels plus motivés.
Aujourd’hui, on ne fait plus de l’humain, on fait du chiffre, des dossiers, des numéros de dossier. L’hôpital est géré comme Amazon gère ses colis. Tout le monde devrait se sentir concerné par la situation des personnels paramédicaux, car on peut tous avoir besoin de soins hospitaliers.