PROTECTION DE L’ENFANCE

« On travaille en mode survie »

par Mathieu Hébert
Publié le 11 décembre 2018 à 16:33 Mise à jour le 18 décembre 2018

Assistantes sociales, infirmières, psychologues... Les professionnels de la protection de l’enfance du Département du Nord manifestaient contre le manque de moyens à Lille ce mardi.

Isabelle, Sophie, Mathilde et Capucine, toutes travailleuses sociales « par vocation ». (Photo Mathieu Hébert)

Les quatre collègues manifestent une couverture de survie sur les épaules. « On travaille en mode survie », explique Mathilde, qui défile avec trois de ses collègues d’une structure de proximité du Département à Anzin, près de Valenciennes.

Elles ont entre trois et dix-ans d’expérience, dans le Valenciennois comme dans la métropole lilloise. Elles ont vu leurs conditions de travail se dégrader, et avec elle le sort des enfants qu’elles accompagnent, placés sous la protection des services du Département par mesure de justice. Chacune suit environ quarante « mesures », quarante jeunes.

« Parle-lui de Jeannine  », glisse une collègue à Capucine, la plus jeune de l’équipe. Jeannine, donc : un bébé placé en famille d’accueil quinze jours après sa naissance. Trois familles en un mois. « Faute de place, chacune des familles ne pouvait pas la garder  », expliquent les jeunes femmes.

« On accompagne des jeunes de l’âge de bébé à dix-huit ans, parfois plus  », rappellent ces travailleuses sociales. « On constate le nombre de place qui diminue, les maisons qui fermes, le nombre de lits qui baisse... Les enfants sont balottés de famille d’acueil en foyer. On est censés travailler sur des projets de vie, des parcours... Au quotidien, il s’agit surtout de trouver une place pour la nuit ou pour la semaine  », complètent-elles. « On renie nos propres valeurs  ».

C’est pire pour les mineurs atteints de troubles ou pour les étrangers. « On n’est pas aidé par les psychiatres  », témoigne Isabelle. « On amène un jeune qui a fait une tentative de suicide ou une automutilation aux urgences pédiatriques à l’hôpital. Et on doit venir le chercher le lendemain matin. Sans qu’aucune solution ne lui ait été proposée  ».

« Pour les mineurs étrangers, on en est réduit à faire le transport entre la garde à vue ou l’hôpital et la gare. On leur confie un post-it avec l’adresse du service qui est censé attester de leur âge. Et c’est tout  », rapporte Sophie.

Isabelle, Sophie, Mathilde et Capucine, quatre des huit collègues que compte leur unité à Anzin, se sont toutes engagées dans le métier « par vocation  ». Leur colère est d’autant plus grande : « Où est le sens de notre travail ?  », interroge Sophie, 38 ans.

(Photo Franck Jakubek)

Comme elles, de nombreux professionnels témoignaient d’un même mal-être et de mêmes dysfonctionnements, dans la manifestation de ce mardi 11 décembre à Lille.

« Le constat est effectivement alarmant  », souligne le syndicat Sud du Département du Nord. « Pour rappel : 700 suppressions de places dans les foyers de l’enfance, des enfants ballottés d’un lieu d’accueil à un autre, suppressions de consultations de Protection Maternelle Infantile, quartiers dépourvus d’assistantes sociales de secteur... Tous ces choix politiques sont délétères pour les habitants  ».

Dans le cortège : des salariées des unités territoriales de prévention et d’action sociale (UTPAS) du Département, des assistantes sociales, des agents des missions locales ou salariés d’associations travaillant pour le compte du Département. « Cela fait des années que le conflit était latent », note Marie, une ancienne contractuelle du Département, qui travaille désormais pour une association, La Sauvegarde, auprès des gens du voyage.

Sur les banderoles, des slogans résument l’état d’esprit des manifestants et leurs revendications : « Public en souffrance, service public en souffrance », « Plus de misère, moins de moyens. Comment faire ?  », ou encore : « On ne peut pas à la fois se serrer la ceinture et baisser son froc  ». « Donnez-nous les moyens d’aider les familles », est-il écrit sur un panneau brandi par une femme qui travaille à l’UTPAS de Tourcoing-Mouvaux, où la grève à débuté le 3 octobre.

Sud, CGT, FO

Un géant, haut de forme sur la tête et cigare à la bouche, est emmené en tête de manif, entouré de musiciens. Un doigt d’honneur à gauche et portant au bras droit ces vers adressés aux « Sacrifiés » : « A vous l’austérité / A vous la pauvreté / A vous les enfants de la détresse / Que le Département délaisse / Au nom de mes budgets / D’une infinie sécheresse  »

(Photo Franck Jakubek)

Outre l’imposant cortège rose et mauve des militants de la fédération Sud Santé-sociaux, défilaient également des militants CGT et FO. Des militants de collectifs d’Ile-de-France, de Seine-Maritime et de la Vienne sont venus renforcer le cortège. « Ils vivent là-bas les mêmes problèmes que chez nous  », explique Olivier Treneul (Sud).

Une rencontre entre les syndicats et le président du Département, Jean-rené Lecerf, est prévue ce mercredi 19 décembre.

(Photo Franck Jakubek)