Quand Amazon profite de la crise sanitaire

Commerce électronique

par Philippe Allienne
Publié le 26 mars 2020 à 22:48 Mise à jour le 27 mars 2020

C’est un peu un climat de terreur qui règne actuellement chez Amazon, la plateforme de distribution bien connue. En cause : les mesures de sécurité contre la propagation du Covid-19 ne sont pas respectées.

Les salariés et leurs syndicats CGT, CFDT, FO et SNTLA (autonome) n’en démordent pas. La direction d’Amazon de Lauwin-Planque, près de Douai, ne fait rien pour la sécurité de ses employés et passe au-dessus des consignes pour lutter contre la propagation du Coronavirus. Le 16 mars, la colère s’est traduite par un débrayage d’une demi-heure (ce n’était pas le premier). Les syndicats ont également mis en œuvre, le 20 mars, leur droit d’alerte et ont demandé le droit de retrait pour les salariés qui se sentent menacés. En vain. La direction assure avoir fait le nécessaire pour la sécurité. Argument massue : le groupe annonce à terme 100 000 embauches supplémentaires dans le monde. Il faut dire qu’il profite à fond des mesures de confinement et de la fermeture de la plupart des commerces.

Côté salariés, on ne comprend pas pourquoi le gouvernement a décidé de classer Amazon parmi les secteurs d’importance vitale. « En quoi est-il primordial et vital de vendre des tee- shirts, des livres, des DVD ou des clés USB ? » demande un syndicaliste. Pour tâcher de juguler le mouvement de grogne et de contrer la mauvaise image qui risque de lui retomber dessus, la direction a assuré avoir revu sa stratégie en ne répondant plus aux commandes d’objets non prioritairement indispensable.

Le président d’Amazon France Logistique, Ronan Bolé, a même reconnu, lors d’une réunion téléphonique avec les représentants syndicaux, le 19 mars, « que la multinationale n’applique pas encore à la lettre les recommandations du gouvernement en termes de protection des salariés dans la crise sanitaire du Coronavirus. (...) Il y a des endroits où il faut que l’on s’améliore », a-t-il encore dit. « C’est un mensonge ! » s’écrie une autre syndicaliste qui refuse d’être citée par peur de représailles. Car en plus des risques sanitaires, les employés essuient des menaces de sanctions. Et de poursuivre que les produits alimentaires, des pâtes essentiellement, ne représentent qu’une toute petite partie des produits distribués et sont par ailleurs relativement chers.

« Durant le week-end, dit un troisième syndicat, Amazon a mis en œuvre un plan de communication afin de faire croire aux consommateurs que désormais, l’entreprise se concentrerait sur les produits de première nécessité. Ces déclarations ont permis à l’entreprise de bénéficier du soutien sans faille du ministre de l’Économie et de la ministre du Travail ». Or, des photos prises dans les rayons des entrepôts du site de Lauwin-Planque montrent clairement que les objets de loisir gardent la priorité. On y découvre même un lot de godemichets. « Et dire, assure une représentante syndicale, que nous avons détruit un lot de masques qui auraient pu nous servir ici même ! » Ils étaient, précisent-elle, périmés de peu.

De nombreux sites sont concernés en France : Montélimar, Châlon-sur-Saône, Orléans, Brétignye-sur-Orge, Amiens et Lauwin-Planque seraient les plus touchés. À Lauwin-Planque, où la plateforme emploie 4 000 salariés, il n’y a pas de masque, pas de gel et presque pas de gants. Il n’y a même pas suffisamment de savon, dénonce une salariée.

« On nous donne des lingettes, mais ce ne sont même pas des lingettes désinfectantes. Un manager a ramené des gants en latex de chez lui et pour son équipe. » Preuve que chez les cadres, on a bien conscience du danger. La manipulation des objets, l’utilisation de rampes d’escalier, les chaînes d’emballage, les scans... tout est suspect d’infection. Les distances sociales entre les personnes ne sont pas respectées. Les salariés vont travailler la peur au ventre. Et de fait, il a de quoi. Le virus Covid-19 peut résister trois jours sur le plastique ou l’acier, s’inquiète l’un d’eux. Sur le site douaisien, 200 salariés ont fait valoir leur droit de retrait. D’autres sont en arrêt pour la garde de leurs enfants. « Mais dans la grande majorité, les gens sont au travail », déplorent les syndicats. Un salarié a présenté un arrêt maladie qui en dit long : « grippe ou Covid-19 ? » y était-il mentionné.

Il y aura un avant et un après

Un salarié d’Amazon, à Lauwin-Planque, écrit ainsi à sa direction : « J’ai toujours eu à cœur de défendre mon entreprise, dans mes fonctions d’associate, de lead, d’acting manager, mais aussi de syndicaliste. Contre tous, les médias, les autres syndicats, les salariés parfois. Parce que j’avais foi, j’avais foi en la bonne foi, justement, de mon employeur. Il y aura un avant et un après. Aujourd’hui, j’estime que vous ne mettez pas en œuvre toutes les mesures pour protéger vos salariés, leurs amis, leurs familles. Aujourd’hui j’estime qu’Amazon n’est pas indispensable à la vie de notre pays dans les circonstances actuelles. Aujourd’hui j’estime qu’Amazon va largement contribuer à la propagation du virus. Aujourd’hui j’estime que vous mettez la vie de mes amis, de mes proches et ma propre vie en danger. Par la présente, je vous annonce l’exercice de mon droit de retrait, vous me mettez gravement en danger, et l’imminence de la diffusion du virus n’est plus à prouver. Je demande à tous les salariés d’exercer ce droit. Je vous informe que la ministre du Travail, le ministre de la Santé, le Premier ministre, le président de la République ont été alertés de la situation préoccupante et du danger que vous faites courir à vos salariés. Cordialement »