Réunis en assemblée générale des salariés ce mardi matin 4 octobre devant le siège social de Camaïeu à Roubaix, les futurs ex-salariés ont la mine déconfite. Ils sont une soixantaine à avoir répondu à l’appel de la CGT sur les réseaux sociaux quelques jours seulement après l’annonce du placement en liquidation judiciaire de l’entreprise et après un ultime week-end de vente dans les enseignes de la marque, sorte de baroud d’honneur. « Ces trois derniers jours, les magasins ont généré 25 millions d’euros. C’est une bonne nouvelle sauf si cette somme est utilisée dans les mesures d’accompagnement des salariés, prévient Thierry Siwik, délégué syndical CGT. On l’a vu il y a deux ans [lors du redressement judiciaire en 2020, ndlr] où la moitié du budget avait été utilisée de la sorte. Nous, on demande que ces bénéfices soient utilisés en primes supra légales. »
Poursuivre leur employeur en justice
Le délégué syndical est venu donner des nouvelles du front et surtout mobiliser les troupes. « Ce sont vous les victimes des actionnaires et de leurs représentants, lance-t-il. Cela fait trente-huit ans que Camaïeu existe. On était leader dans le prêt-à-porter féminin et aujourd’hui, on nous ferme notre entreprise, c’est une honte ! C’est inacceptable ! J’ai l’esprit combatif mais je ne peux rien faire sans vous, les salariés. » Il est venu, accompagné, d’une pointure dans la défense des salariés face aux actionnaires : l’avocat Fiodor Rilov. Après avoir défendu les ex-salariés de Bridgestone, ceux de Goodyear, Continental, Whirlpool ou encore Cargill (à Haubourdin), il dispense à son tour la marche à suivre. Comme il en a l’habitude, il plaide sur le parking et tente de convaincre les salariés de réclamer leur dû. « Il y a des responsables de cette catastrophe sociale. Il faut les amener au tribunal pour qu’ils soient condamnés à vous verser des indemnités compensatrices. On a tous le sentiment que vous avez été enfarinés par le nouveau repreneur. Il nous faut réunir des documents comptables qui retracent toutes les opérations de fonds depuis trois ans pour pouvoir établir de manière concrète leur responsabilité. » Mais, il se veut aussi prudent et prévient : « On ne va pas se raconter d’histoires, mes démarches ne vous permettront pas de récupérer vos emplois. Les chances d’une solution de reprise viable sont minces. Je ne veux pas vous raconter qu’un miracle va se produire. Et, le plan social sera inévitablement au ras des pâquerettes. L’argent qui reste sera d’abord affrété au paiement des créances. »
Occupation du siège pour se faire entendre
Pour lui comme pour Thierry Siwik, la priorité est à la mobilisation et à l’action. « Personne ne va vous aider sinon vous-même et votre capacité à vous mobiliser. On est dans l’urgence. Les larmes de crocodile de l’État, du ministre ou du conseil régional, je les vois couler à chaque fois qu’il y a une fermeture de boîte. Jamais, je ne les vois s’engager auprès des salariés », ajoute Me Rilov. Même état d’esprit pour le représentant de la CGT : « Va falloir se mobiliser sinon on ne sera pas entendus. Je vais vous demander de prendre vos responsabilités. Qu’est-ce qu’on attend aujourd’hui ? On a sollicité l’État et on n’a pas eu de réponse à ce jour. » Les salariés présents scandent : « Sauvons nos emplois, Camaïeu est à nous » et le groupe décide de pénétrer dans le siège social après avoir démonté une grille. « Nous n’allons rien cassé, c’est notre outil de travail. Mais, nous devons montrer que nous sommes là et que nous n’allons rien lâcher », précise Thierry Siwik.
Bema, 57 ans, suit le mouvement. Cela fait 29 ans qu’il est employé logistique chez Camaïeu. « Jeudi en fin de journée, on nous a dit de prendre nos affaires. Du jour au lendemain, on ne pouvait plus se rendre à l’entrepôt, on n’a plus de boulot. Pourquoi l’État ne bouge pas ? Je ne comprends toujours pas pourquoi il n’y a pas eu de reprise et comment un juge peut décider de fermer une grosse entreprise dans la ville la plus pauvre de France », s’interroge-t-il. A ses côtés, Franck, 55 ans, 30 de boîte, se montre plus remonté. « Ce sont des escrocs, dit-il, en parlant des actionnaires. Comment peuvent-ils se regarder dans le miroir ? Ils nous ont dit, il y a deux ans, l’entreprise ne va jamais fermer. Bercy va nous aider. En réalité, ils attendaient des aides de l’État, ce sont eux les cassos. » Ils se disent tous les deux inquiets quant à leur future employabilité. Pour l’heure, ils attendent les 21 jours de préavis avant leur licenciement effectif.
Une trentaine de personnes, exclusivement des services administratifs, travaille encore sur le site. Elles vont, pendant les deux à six prochaines semaines, préparer la liquidation. Sandrine Lilienfeld, la directrice générale nommée en février dernier, ainsi que les deux mandataires judiciaires, Me Aras et Me Perin, sont également présents. « Ils sont de votre côté », lance-t-elle aux salariés venus occuper le siège. « Nous ne sommes pas responsables de la situation, rappellent-ils. Votre combat est légitime. Les engagements qui seront pris seront au bénéfice des salaires, on tiendra parole. » Une réunion avec le CSE est prévue ces prochains jours. Un PSE sera alors présenté. « On va voir ce qu’ils vont nous proposer. Mais, ce qu’on veut c’est sauver la marque, sauver nos emplois », y croit encore Thierry Siwik.
- La CGT appelle à un nouveau rassemblement des salariés, ce vendredi 7 octobre à 8h00, devant le siège de Camaïeu. Plusieurs réunions du CSE sont d’autre part prévu dès 9h pour négocier le PSE