INDUSTRIE FERROVIAIRE

Chez les sous-traitants, on se regroupe

par Mathieu Hébert
Publié le 2 novembre 2018 à 14:06 Mise à jour le 9 novembre 2018

A la demande des constructeurs, les sous-traitants de l’industrie ferroviaire se regroupent. Objectif : répondre aux grands appels d’offres, et diversifier leur activités hors secteur ferroviaire.

Photo archives Mathieu Hébert

Comme dans l’industrie automobile avant lui, une nouvelle vague de concentration est en cours dans le secteur ferroviaire. Bureaux d’études, équipementiers ou sous-traitants, le mouvement est général. Dans le nord de la France, qui concentre la moitié des effectifs de la filière française (10 000 emplois sur 21 000), la dynamique est bien engagée.

« On aura toujours besoin de tel ou tel fournisseur local pour garder souplesse et réactivité. Mais nous avons besoins de partenaires solides financièrement, capables d’investir, d’innover et de réaliser des travaux de recherche et développement pour nous. 70 % d’un train, c’est ce qu’on achète  », explique Laurent Bouyer, président de Bombardier Transport France. « On a besoin de joueurs de haut niveau. Une PME qui ne travaille qu’à l’échelle des Hauts-de-France sera-t-elle capable de nous accompagner à Hong-Kong ou Mexico ? »

Message reçu au sein de l’Association des industries ferroviaires (AIF), qui représente les acteurs des Hauts-de-France. « Beaucoup de petites structures de cinq à dix personnes se disent : "oh la la, c’est trop gros, ce n’est pas pour moi !" Or il y a des affaires à faire. Et les donneurs d’ordres ne nous attendent pas  », résume le président de l’AIF, Sylvain Bele, qui dirige par ailleurs Addev Materials à Lallaing, près de Douai.

Qui dit regroupement dit perte d’autonomie et perte d’emplois ? Pas forcément, dit le président de l’AIF, qui se félicite que l’association ait permis l’émergence de deux groupements d’entreprises. Axelium en est le premier-né, qui réunit les compétences de plusieurs bureaux d’études privés et un centre d’innovation et d’essai de l’Université polytechnique des Hauts-de-France (le nouveau nom de l’université de Valenciennes-Hainaut Cambrésis).

« Pour les grands groupes nous sommes trop petits ; ils nous ont demandé de nous associer à des groupe d’ingénierie, qui prennent leur marge au passage. Ce n’est pas ce que nous cherchions », explique Bertrand Canaple, directeur du développement de Valutec, l’une des composantes du groupement Axelium Engineering. L’avantage du groupement : « chaque membre analyse le projet, mais nous ne faisons qu’une seule offre, avec un seul porteur  ». Grâce à sa reconnaissance dans tous les sites d’Alstom, Axelium compte désormais « démarcher dans d’autres secteurs  ».

Sans se fondre dans un nouvel ensemble, c’est la même stratégie de diversification qu’a engagée Stratiforme-Compreforme, à Bersée, près de Lille. Spécialiste des matériaux composites, cette PME réalise notamment des bouts avant de train. Elle a beaucoup investi en recherche et développement, au point de transformer, en mai dernier, son centre technique en un bureau d’études autonome, Technoforme Engineering. Une seule entité pour proposer des prestations d’ingénierie, d’essais, d’homologation jusqu’au transfert de technologie. « Peu d’acteurs ont l’ensemble de ces capacités  », avance David Cnockaert, son responsable.

« J’espère que le message est clair »

Guy Leblon, président de Stratiforme-Compreforme, se félicite de la démarche : « la connaissance acquise dans un domaine nous rend meilleurs dans d’autres. C’est un effet vertueux  », qui ouvre de nouveaux marchés dans les domaines militaire ou médical.

L’essentiel de l’activité de la filière ferroviaire des Hauts-de-France, dont Valenciennes est le cœur, demeure très liée à celle des sites d’assemblage d’Alstom et Bombardier, à Petite-Forêt et Crespin, à côté de Valenciennes.

Après un creux et plusieurs périodes de chômage partiel, l’activité reprend chez Alstom (1100 salariés) avec des contrats liés au réseau ferroviaire belge et au projet du Grand Paris express. 120 postes ont été créés en 2018 et 50 sont en cours de recrutement, à la fois dans l’ingénierie et dans la production.

Idem chez Bombardier à Crespin (2000 salariés), qui recrute 200 personnes, non sans mal : manque d’attractivité du territoire pour les profils de « seniors expérimentés  », et manque de candidats pour les métiers de la métallurgie pour les soudeurs, chaudronniers, dresseurs, observe Laurent Bouyer. « Ce n’est pas encore une difficulté, mais c’est un sujet de vigilance  », euphémise-t-il. Le manque de candidats concerne aussi les PME, avance le patron de l’AIF.

Les carnets de commandes de Bombardier (ci-dessus) et Alstom sont bien pourvus pour au moins deux ans grâce aux contrats avec la SNCF, les Régions et le Francilien. Mais après... (Photo archives Mathieu Hébert)
Photo archives Mathieu Hébert

Les carnets de commandes de Bombardier sont pleins jusqu’en 2022. « Au-delà, la charge sera insuffisante au regard de la taille du site  », indique Laurent Bouyer. « J’espère que le message est clair », complète-t-il, allusion aux deux appels d’offres de la RATP (métro et RER) et aux options qui restent à lever avec la SNCF pour le compte des Régions et du Francilien.

Les perspectives : « verdissement » des trains, déconstruction, train autonome

« Je suis très inquiet pour le ferroviaire  », confie Ludovic Bouvier, secrétaire de l’USTM CGT pour le sud du département du Nord. Ce dernier évoque la restructuration de plusieurs services de Bombardier et l’externalisation de travaux. Mais c’est chez Alstom qu’il nourrit plus d’interrogations, dans le cadre de la fusion avec Siemens. « Ce ne sont pas les annonces de production pour le métro parisien qui vont lui éviter une restructuration. Siemens va rationnaliser. Il y aura des doublons, et ça ne durera pas des années  », analyse le syndicaliste.

Alors que la plupart des Régions ont engagé le renouvellement de leur parc de matériel roulant, l’avenir de la filière repose sur de nouveaux débouchés. La déconstruction de voitures et de wagons de fret, déjà testée mais non aboutie, faute d’espace de stockage et de coût de désamiantage élevés, revient sur le tapis. Autre piste : le « verdissement » des matériels roulants. Souhaitée par le gouvernement, la dynamique consiste à équiper progressivement les trains de systèmes moins gourmands en énergie, grâce aux batteries ou à l’hydrogène. A l’horizon 2023, dans cinq ans, avec la SNCF et Railenium, deux consortiums planchent sur la réalisation de prototypes de trains autonomes. Bombardier et Alstom y participent tous deux, le premier pour un train de voyageurs, l’autre pour un train de fret.

À Bersée,Stratiforme révolutionne l’armement des caténaires

Après près de dix ans de recherche et développement, Stratiforme vient de mettre au point un nouveau système d’armement des caténaires, ces câbles électriques qui alimentent les trains. Cette PME spécialiste des matériaux composites basée à Bersée, entre Lille et Douai, a développé un produit associant un monobloc composite reliant le poteau porteur aux câbles. Avantages : simplicité d’installation et réduction des coûts de maintenance. « Les armements sont actuellement composés d’environ 80 références et nécessitent quatre équipiers pour assembler chacun d’entre eux », explique Guy Leblon, président. Avec l’Armement Caténaire Composite Universel Monobloc (ACCUM), « tout est pré-assemblé chez nous. Il ne reste plus qu’à l’opérateur à l’installer en "plug and play". C’est une première mondiale, une rupture technologique dans un secteur qui n’a pas changé depuis 70 ans », se félicite Guy Leblon. Conçue avec la SNCF et l’appui de l’école d’ingénieurs IMT Lille-Douai et du Centre d’essais ferroviaires de Petite-Forêt, cette innovation fait l’objet de plusieurs brevets. Une quinzaine d’emplois verront bientôt le jour au sein d’une nouvelle unité de fabrication à Bersée, en cours de constitution. Le système intéresse des opérateurs européens et asiatiques. Les premiers armements équiperont 6 km de voie commerciale près de Strasbourg en 2019. Ce projet permet aussi à la PME de doper son centre technique, Technoforme Engineering. Désormais, la vingtaine d’ingénieurs et techniciens ne travaillent plus seulement sur des projets internes, mais accompagnent aussi les travaux pour le compte de tiers. Le groupe emploie 200 personnes, dont la moitié à Bersée.