Dossier Industrie

« L’État doit définir une politique industrielle à long terme »

par Philippe Allienne
Publié le 21 juin 2019 à 14:09 Mise à jour le 25 juin 2019

Fabien Roussel, secrétaire national du Parti communiste et député du Nord, porte un regard très critique sur les dossiers industriels. Alors que l’État et les banques devraient être présents aux côtés des entreprises en difficulté, il déplore une absence de vue à long terme pour le premier et une pratique de taux d’intérêt inadaptés pour les secondes.

Fabien Roussel.

Quel est votre sentiment sur la cascade de mauvaises nouvelles qui frappent notre tissu industriel régional ?

Fabien Roussel : L’ État n’a pas de politique industrielle. Or, un pays sans industrie est un pays sans avenir. Aujourd’hui des filières importantes pour notre pays sont menacées. Que ce soit la filière acier, électrique, avec Ascoval et Hayange, parce qu’elles doivent travailler ensemble, que ce soit la filière turbines à gaz avec General Electric à Belfort, que ce soit la filière papier recyclé avec Arjowiggins, dans la Sarthe. Sur ces trois sujets au cœur de l’actualité, il n’y a a aucune stratégie de l’État et ces filières sont menacées par des fonds d’investissement, des fonds vautours, qui pourraient les racheter et les vendre dans deux ans à la découpe comme ça a été fait en 2007 pour les Samsonite à Hénin- Beaumont.

Le problème qui touche Ascoval ne porte- t-il pas sur la manière dont on s’y prend pour trouver un repreneur ?

Non le problème au départ, c’est l’absence de vision de l’État. Le ministre de l’Industrie peut- il nous dire ce que la France va produire dans vingt ans ? Il est incapable de le dire. L’État n’a pas décidé aujourd’hui des filières, importantes pour notre souveraineté économique, qu’il entend protéger et développer. Nous ne sommes pas les seuls, les communistes, à exiger une vision à long terme, une forme de planification industrielle qui permettrait de mettre en face des moyens financiers, mais pas seulement, pour préserver des filières entières. C’est non seulement indispensable pour notre souveraineté économique, c’est important pour l’emploi, mais cela devient déterminant pour le climat aussi parce que c’est développer la production en France et les circuits courts. Plutôt que de transporter les marchandises sur camions en fabriquant des frigos en Pologne, des voitures en Tchéquie, de l’acier en Allemagne, produisons en France, produisons local.

Que faut-il faire dans l’immédiat pour contrer les plans de fermeture ou de délocalisation ?

Définir une vision à long terme d’abord. Ensuite mettre tout de suite les moyens pour que l’ État garantisse l’avenir de ces entreprises dont je viens de parler, GE, Ascoval... Il existe un moyen immédiat que l’État peur utiliser, c’est la montée dans le capital, voir la nationalisation temporaire de ces entreprises, le temps de les stabiliser et de les confier à des industriels sérieux.

La nationalisation temporaire semble une idée difficile à mettre en œuvre. Comment faire concrètement ? Cela a été fait sous Sarkozy avec Alstom  [1] . La loi le permet, mais l’Union européenne ne l’autorise pas. C’est bien pour cela qu’il faut changer les traités européens. Mais aujourd’hui, face à l’urgence, il faut trouver les moyens de le faire et c’est possible d’ autant que l’État est actionnaire de nombreuses entreprises.

S’agissant d’Ascoval, l’État est actionnaire de Vallourec. Vallourec lui-même est menacé à terme parce que ce groupe est très mal dirigé avec des investissements hasardeux en Chine ou au Brésil. Il ferait mieux d’investir en France. L’État en est aujourd’hui actionnaire à 7,6 % (il détient 11,3% des droits de votes - ndlr). Il pourrait monter à 30% pour reprendre en main ce groupe et réorienter ses investissements ce qui permettrait notamment de sauver Ascoval.

Comment peut-on expliquer le feuilleton des repreneurs d’Ascoval ?

Parce que l’État n’ayant pas de stratégie, s’en remet au marché en appelant des repreneurs à s’engager. Or, les repreneurs qui se manifestent sont bien souvent des fonds d’investissement dont l’objet est de faire beaucoup de bénéfices en très peu de temps. Ils n’ont pas d’ambition industrielle. D’ailleurs, lorsque les repreneurs sont des fonds d’investissement ou des fonds de pension, les syndicats doivent discuter avec des avocats et non avec des industriels. Le grand drame aujourd’hui de l’économie, c’est que ça rapporte plus d’investir dans la spéculation, dans des fonds d’investissement, que dans des usines. Donc si le marché ne répond pas, ne garantit pas l’avenir de ces entreprises, c’est à l’État de le faire.

Il y a trois ans, l’entreprise calaisienne Deseilles était sauvée.

Aujourd’hui, la voilà de nouveau en redressement judiciaire. La région a été présente aux cotés de cette entreprise. Mais cela a t-il été suffisant ? Pour ce type d’activité de niche, liée à notre pays et à cette région et avec une spécificité française, ne faut-il pas mettre davantage de moyens pour les soutenir et les préserver, comme un métier, ou un savoir faire en disparition ?

Vous pensez aux collectivités et aux banques ?

Je sais que cette entreprise n’est pas accompagnée par les banques. C’est une question que je pointe souvent : nous avons besoin d’une banque publique qui puisse prêter à taux zéro et accompagner les entreprises quand elles sont en difficulté ou ont besoin de se développer. Aujourd’hui, à chaque fois que j’interroge les entreprises et que je leur demande si les banques sont présentes, bien souvent elles ne sont pas là, et quand elles prêtent c’est à des taux très élevés.

Le dossier banque publique que vous défendez avance-t-il ?

Non, j’ai interrogé le ministre sur cette question. Il ne répond pas et je commence à bâtir un dossier sur ce sujet car je découvre que des fonds d’investissement ou des fonds de pension se substituent aux banques et prêtent à des taux usuriers , entre 10 à 20 %. C’est ce qui s’est passé chez Ascoval avec le repreneur Altifort. C’est le cas ailleurs comme Arc International qui font l’objet de soutien de la part d’institutions bancaires qui prêtent à des taux trop élevés.

Même l’État, quand il accorde un prêt comme il le fait pour Ascoval dans le cadre de la reprise, prête au taux du marché, c’est-à-dire entre 11 et 15 %. Si l’Etat prêtait au taux directeur de la BCE entre 1 et 2 %, ce serait considéré par l’UE comme une subvention et c’est donc interdit par la commission européenne. Alors je sais, l’hypothèse d’une banque publique serait fortement dénoncée par la commission européenne, mais il y an moment où il faut un petit peu subvertir les institutions.

Notes :

[1En juillet 2004, la Commission européenne avait fini par accepté la mise en œuvre d’un plan de sauvetage d’Alstom préparé par le ministre de l’Economie Francis Mer, puis par son successeur Nicolas Sarkozy. Il s’agissait d’une nationalisation partielle et transitoire que Francis Mer ne voulait pas voir comme un précédent. L’État français avait alors pris 21,36 % du capital pour 720 millions d’euros dans le cadre d’une aide de 2,8 milliards d’euros. En échange, Bruxelles avait posé des conditions : Alstom devait céder des actifs à hauteur de 10% de ses 20 milliards de chiffre d’affaires ; l’État devait lui vendre sa participation dans les quatre années suivantes. En 2006, l’État, a cédé ses parts à Bouygues en réalisant une plus-value de 1,26 milliard d’euros.