© Jacques Kmieciak
À Stellantis Douvrin

« La direction entretient le flou de peur d’une montée de la colère »

par JACQUES KMIECIAK
Publié le 14 mai 2021 à 12:01 Mise à jour le 18 mai 2021

La perspective de la fermeture de Stellantis (ex-Française de Mécanique) n’a guère entamé la combativité d’une partie du personnel. C’est désormais « vaincre ou périr ».

Dany a débuté à la Française de Mécanique (FM) en 1988. Le jeudi 6 mai dernier, il a participé au rassemblement organisé par la CGT, avec le soutien de la CFDT, devant les portes de l’usine pour entretenir l’espoir d’une poursuite de l’activité. Il n’en demeure pas moins pessimiste. « J’imaginais qu’on allait continuer encore au moins dix ans. Là, je n’y crois plus vraiment. C’est fini. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir fait des efforts depuis des années », se désole-t-il, faisant notamment référence au « gel des salaires ». Cet homme de 56 ans pourrait peut-être, l’an prochain, bénéficier d’une retraite anticipée dans le cadre d’un « plan senior ». « Un départ ? Je ne sais pas. Nous n’avons pas toutes les clés en main. Nous avons souvent des biens à payer, une famille à nourrir », indique-t-il.

Combativité intacte

À ses côtés, Thierry, 49 ans, imagine que la direction pourrait lui proposer « une affectation sur un autre site, comme l’usine de Valenciennes où l’on fabrique des boîtes de vitesse ». À largement plus d’une heure de route de son domicile, cette éventualité ne l’emballe guère. « Je n’aurais alors d’autres choix que de m’inscrire à Pôle Emploi », s’émeut-il tout en faisant remarquer qu’ici « de plus en plus de travailleurs manifestent leur mécontentement ». De quoi sans doute donner du baume au cœur de Geoffrey, 39 ans, « satisfait de la mobilisation de ce jeudi. Une centaine de salariés nous ont rejoints sans compter les retraités et les camarades d’autres boîtes de la métallurgie venus de toute la France ». Son avenir, il ne l’envisage pas ailleurs « tant que l’état d’esprit sera de lutter pour gagner. J’y travaille depuis 21 ans, je compte bien rester ».

Un rapport de force à construire

De peur d’une « montée de la colère », la direction entretient « le flou sur le devenir de l’usine », estime-t-il. « Nous ne savons pas à quelle sauce nous allons être mangés », indique Nicolas, 42 ans, embauché « en l’an 2000, à la grande époque : nous étions 8 000 salariés avec les sous-traitants  ». Il se dit « inquiet mais pas fataliste. La production des moteurs thermiques ne va pas s’arrêter du jour au lendemain dans le monde ». Ses collègues ont-ils pris la mesure de l’offensive patronale ? « Oui, c’est ce qui ressort des discussions dans les ateliers. Maintenant, il va falloir qu’ils s’organisent pour se défendre », commente Geoffrey. Éric, 57 ans, ne dit pas autre chose : « C’est aux salariés conscients que les dés sont jetés, à se bouger et à peser sur les événements. » Le rapport de force reste cependant, historiquement, difficile à établir dans la mesure où « la FM a toujours été une entreprise qui matraque. Si vous participez à un mouvement organisé par la CGT, c’est la soupe à la grimace assurée au retour à l’usine. Il faut résister face à la maîtrise », analyse-t-il du haut de ses 39 ans de boutique.

Sans illusion

Aussi n’est-il pas mécontent de la mobilisation observée pour cette 3e journée d’action (après la grève du 3 mars et la marche du 10 avril), « même si on peut toujours mieux faire ». Lui aussi est bien décidé à poursuivre le combat d’autant qu’il ne se fait aucune illusion quant à un possible reclassement dans l’usine de batteries ACC dont l’ouverture est prévue sur la zone industrielle à la fin 2023, avec « 200 emplois à la clé à cette date et 1 400, six ans plus tard ». Dans le secteur, « il y aura aussi les licenciés de Bridgestone (Béthune) et Maxam (Mazingarbe) à caser », rappelle Éric. « Ils recruteront certainement de la main-d’œuvre qualifiée », imagine Nicolas. Et Fabien Jamart, secrétaire général de la CGT FM de préciser « que la direction ne communique pas sur le sujet ».