Haubourdin

Le sort des salariés de Cargill sera connu le 3 novembre

par Philippe Allienne
Publié le 2 octobre 2020 à 13:22 Mise à jour le 9 octobre 2020

Branlebas de combat mardi matin, 29 septembre, devant le tribunal de grande instance de Lille. Alors que de nombreuses professions étaient venues soutenir les salariés de l’usine haubourdinoise, leur avocat pouvait enfin plaider pour demander la suspension du plan de sauvegarde de l’emploi. Mais le verdict ne tombera que le 3 novembre.

Ce n’est pas exactement ce que souhaitait Me Fiodor Rilov, l’avocat du Comité social et économique (à majorité CGT) de la SAS Cargill Haubourdin. Depuis qu’il a pris la défense des salariés menacés par le plan de réorganisation et le PSE annoncés avec brutalité il y a près d’un an, le 21 novembre 2019, il a tout mis en œuvre pour tenter d’empêcher les licenciements. Sa stratégie : faire retirer, ou au moins suspendre, le PSE qui portait sur la suppression de 183 postes.

Procédure contrariée

Pour cela, il pouvait s’appuyer sur les travaux du cabinet d’expertise comptable Progexa. Ce dernier a remis un rapport, dès février 2020, démontant les arguments financiers de la direction et démontrant que les précautions et mesures de prévention en matière de santé n’avaient pas été prises. Mais de report d’audience en report d’audience, la défense de Me Rilov a été contrariée. De son côté, la direction de Cargill s’est trouvé un allié de poids, à savoir l’État, via le préfet du Nord et la Direccte (Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi). Cette dernière a obtenu que le tribunal de grande instance (TGI) se déclare incompétent et que le dossier soit renvoyé devant le tribunal administratif. La crise sanitaire s’est également invitée dans le dossier en bloquant la procédure. Durant le confinement, les salariés ont travaillé sur une production destinée à l’industrie pharmaceutique. « Nous avons sauvé des vies », disent leurs représentants. La direction avait promis de reporter le PSE à la fin de l’année. Mais dès la fin du confinement, elle l’a relancé et la Direccte l’a homologué.

Mauvaise foi

C’est paradoxalement cette homologation qui a permis à Me Rilov de retravailler son dossier et de revenir devant le TGI. Le cabinet Progexa a quant à lui réalisé une nouvelle expertise en observant la mise en œuvre du plan de réorganisation.Pourtant, ce mardi 29 septembre, le conseil de Cargill, Me Côme de Girval, a commencé par tenter de rejouer la carte de l’incompétence du TGI. Sans succès heureusement. S’en est suivi, sur fond d’une brillante plaidoirie de Me Rilov, un spectacle hallucinant de mauvaise foi de la part de son contradicteur. Alors que l’avocat des salariés avait, avec force détails, montré que le plan de réorganisation et le PSE avaient bien démarré et que la direction avait ouvert la voie aux départs volontaires des salariés, le conseil de celle-ci a estimé que, bien au contraire, on était dans une « période d’entre deux », jusqu’au 30 septembre.

Me Fiodor Rilov, l’avocat du Comité social et économique (à majorité CGT) de la SAS Cargill Haubourdin à la sortie de l’audience du 29 septembre.
© Ph A

Pour lui, la réorganisation n’interviendra qu’après cette période. Cela lui a permis d’affirmer que Me Rilov ne pouvait reprocher à la direction de n’avoir pas anticipé la charge de travail dans la nouvelle organisation et n’avait pas à prévoir les questions de santé. Ce point a d’ailleurs fait l’objet d’un très vif débat entre les deux avocats. Pour l’un, rien n’a jamais été fait, ni avant l’homologation du PSE par la Direccte, ni après. Pour l’autre, il n’y avait rien à faire puisque tout avait été fait. Le représentant des salariés a eu beau jeu de lui rappeler qu’il intervenait sur l’après homologation et que le cabinet Progexa avait lui aussi travaillé sur cette période. En fait, Me Rilov s’est appuyé sur le fait que les charges et les conditions de travail ont bien évolué depuis l’homologation et que les salariés doivent travailler à la fois sur la conduite de channels et sur les tours d’atomisation. Or, cela fait appel à des compétences différentes. Les salariés ne peuvent les avoir toutes. L’avocat des salariés a ensuite dénoncé le chômage partiel (46 salariés au lieu des 40 déclarés par l’avocat de la direction) et la fermeture de l’amidonnerie qui conduit à se faire livrer de l’amidon par camion. Là encore, le représentant de la direction a contré en affirmant que la fermeture de l’amidonnerie n’avait pas été volontaire- ment anticipée mais résultait d’un sabotage qu’il impute, sans le dire, aux salariés. La difficulté de Me Rilov a été de devoir faire face à une lecture originale : la distinction entre la mise en œuvre du PSE et l’affectation des salariés à une double tâche. Cela, confirme le tribunal, fait l’objet de deux assignations différentes.

Évolution de la charge et des conditions de travail

Dernier point, mais pas le moindre, Fiodor Rilov affirme que la direction de Cargill n’a pas transmis en temps et en heure des documents réclamés par le cabinet Progexa. Me Rilov persiste et signe, sur le plan de la santé des salariés, « il y a trouble manifestement illicite ». À la sortie de l’audience (près de trois heures), Fiodor Rilov s’est exprimé devant les salariés qui attendaient devant le tribunal et a répondu aux questions de la presse. Visiblement rassurant, il a gommé d’un revers de manche le débat très vif qui l’avait opposé à son confrère. « Ce n’est pas sur ces apparences que le tribunal va se prononcer » a-t-il souri. En attendant la décision du 3 novembre, les lettres de licenciement commencent à partir. Cela contrarie singulièrement une éventuelle remise en cause du PSE. Entre 129 et 186 emplois sont concernés.